Harmonia cælestis, Péter Esterhazy, Gallimard, 2001, 609 p.
Revu et corrigé, Péter Esterhazy, Gallimard, 2005, 400 p.
Péter Esterhazy était venu à Lyon, lors des AIR 2008, pour une
rencontre avec Hélène Cixous. Le thème : « Le secret des
origines : faire la lumière » les a conduits à discuter de la littérature explorant les
généalogies.
Dans le roman Harmonia cælestis,
Péter Esterhazy entreprend de raconter l’histoire de sa famille qui fut
une des plus anciennes et plus puissantes de Hongrie et même d’Europe.
« Je me trouve dans la situation de tous ceux qui
examinent leur arbre généalogique : je me rends compte combien je sais peu
de choses de mes aïeux. Mais enfin on sait toujours peu de choses d’eux, on ne
peut savoir d’eux que ça, peu, indépendamment de la famille et de la documentation ; la seule chose que nous arrivions à découvrir, c’est que notre grand-père a été
un vieux monsieur respectable, portant la barbiche, un homme de haute
moralité, chose que prouvent ses sept enfants. » (p.305)
Le lecteur ne s’attend pas à voir débouler tant de pères, de
grands-pères et de fils de leur père, dans des situations si cocasses. Il faut
préciser que la confusion des générations se révèle extrême.
« J’avais un
lointain et mystérieux « mon père » - appelons mon père ainsi » (p.19)
Et de fait, tous les hommes sont désignés ainsi « mon
père » Leurs portraits se dessinent en lisant les fragments qui composent la première partie du livre. Il suffit de se laisser entraîner par le brio et l’humour de
milliers d’anecdotes, vraies ou fictives. L’auteur ne craint pas d’exagérer, de
forcer le trait, d’inventer des histoires invraisemblables, parmi lesquelles se
glisse l’Histoire de la Hongrie.
Lorsqu’on est en quête de modèle pour rédiger sa propre
généalogie, si modeste soit-elle, comparée à celle de la famille Esterhazy, on jubile
en voyant tout ce que Péter E. se permet d’imaginer et d’écrire. Le style est
époustouflant, agaçant, iconoclaste. Il pourrait être une source d’inspiration
pour tous les généalogistes qui oseraient se lancer. D’autant que chacun peut se
reconnaître dans cette posture de chercheur de traces concernant son histoire familiale.
« Le fils de mon père connaissait et ne connaissait pas
mon père. Mon père avait beau être son père, c’était un étranger dans la nuit.
Il ne savait rien des vraies pensées de mon père, de ses rêves, de ses désirs,
de ses sentiments. » p.252
Péter E. a écrit ces lignes avant qu’il ne découvre le secret de son propre père. Ayant
l’occasion de consulter le dossier de cet homme, il révèle que celui-ci était
un agent de la police secrète du régime communiste.
Que faire de ce terrible mensonge qui laisse dévasté le fils
de ce traître de père ?
Lorsque Péter Esterhazy s’est rendu aux archives pour savoir
s’il avait été surveillé, il était tranquille, le sujet n’avait pas une grande
importance et son chef d’œuvre Harmonia cælestis, dont l’écriture avait duré dix ans, venait d’être achevé. On lui remet les
dossiers, il tombe de haut en découvrant que son père était un indic. A-t-il
cimmis une erreur fatale en lisant ces rapports qui auraient dû rester secrets ?
Certainement, car on ne se relève pas d’une
telle honte, d’un tel mensonge qui entache la légende paternelle.
Péter Esterhazy vient de décéder,
le 14 juillet 2016.
le 14 juillet 2016.
Pour écrire cet hommage, je reprends ces deux livres si
lourds, 1000 pages à eux deux, j’en avais lu, de chacun, la moitié. Je suis happée
par la force littéraire de ce chef-d’œuvre, envahie par l’émotion que je n’avais
pas ressentie de façon si intense, à la première lecture
Voilà des pages qui pourraient inciter à
décoller de la banalité de nos généalogies pour leur donner la puissance de l’épopée.
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