2022-01-29

Les yeux gris

 


Ouvrir les yeux et regarder notre généalogie pour chercher des aveugles, voilà la proposition de Geneatech pour le généathème ce mois-ci.

 


J’ai pensé fermer les yeux et passer mon tour. Si les individus de mes forêts étaient malvoyants, je l’ignore. Bien sûr, je sais que la vue baisse avec l’âge et que ceux qui déclarent ne pas savoir signer cachent ainsi une vue défaillante. Cela m’attriste de les imaginer sans lunettes, incapables de travailler, de lire, de manier les outils, de vaquer aux occupations quotidiennes. Je plains les grand-mères, assises au coin du feu, ne pouvant plus cuisiner, inaptes à coudre, à faire de la dentelle. Il ne leur reste qu’à pleurer, si leurs yeux ne sont pas trop secs.


Cette réalité me paraît terriblement triste, je ne souhaite pas me trouver dans cette situation, sans les lunettes que j’ai la chance de porter. J’ose espérer que, dans le meilleur des cas, les anciens acceptaient la vieillesse avec une paisible résignation, telles de sages personnes ayant vécu de longues années, entourées de leurs descendants affectueux et attentifs.

 

 

Régis, le frère de mon grand-père.

Régis vivait dans ce charmant lieu-dit Gambonnet, entre Haute-Loire et Ardèche, il travaillait dans les prés et les bois de nos aïeux.



Régis a les yeux gris. 

Comme les hommes de sa famille, c'est un petit homme fier et robuste. il est arrivé à la quatrième place dans la fratrie. Paul et Jean, les deux cadets ont envie voir la ville, de tenter l'aventure, ce sont des constructeurs d'engins audacieux. Lui, il préfère vivre dans la montagne; plus calme, plus raisonnable, il demeure avec sa mère et ses deux frères aînés dans la belle maison ancienne.

Lorsqu’il est appelé avec la classe 1900, on peut craindre qu’il participe quatorze ans plus tard à la Grande-Guerre dont nous savons qu’un seul de ses frères va revenir sain et sauf.

Numéro 1 au tirage, il est jugé bon pour l'armée, puis dispensé parce qu’il a « un de ses frères au service ». En effet, Xavier qui a deux ans de plus que lui se trouve au 152e régiment d’infanterie, en 1900.

Le sursis, qui lui permet de rester auprès de sa mère, ne dure qu’un an. Le 14 novembre 1901, il arrive au 16e régiment d’artillerie pour être canonnier conducteur. Il explique que sa vue n’est pas très bonne. En employant des mots que Xavier ne connaît pas, comme rétinite et amblyopie, le médecin militaire diagnostique des pathologies de la vision. Six mois plus tard, il est soulagé d’être réformé. Cependant, ce pronostic devrait l’inquiéter. Constatant l’amblyopie, il sait que l’un de ses yeux voit moins bien que l’autre, mais la rétinite paraît plus grave. A-t-il conscience que cette maladie génétique, qui cause la cécité, reste incurable ?

 

Selon mon regard, l’avenir s'annonce bien sombre pour le jeune homme qui risque de devenir aveugle, s’il n’est pas engagé, voire blessé ou tué lors de la Grande Guerre.

 

Les affreuses prédictions ne se sont pas réalisées. 

Régis est mort chez lui, sans atteindre ses 30 ans, le dimanche 13 février 1910 à 3 heures dans la nuit.

Le matin, Urbain, mon grand-père monte seul jusqu’au village de Saint-Bonnet-le-Froid, à 1150 m d’altitude. Il marche longtemps faisant craquer le givre et peut-être la neige d’un matin d’hiver à la montagne. Il essuie ses larmes, de froid et de chagrin. Il ressent la fatigue, il a si peu, si mal dormi. Il ne s’arrête pas pour voir ses arbres dans la forêt. Il continue. 

Les sapins d'Urbain

La journée sera longue, douloureuse. C’est lui l’aîné, il a 33 ans, il doit assurer l’organisation des funérailles. Comment prévenir les plus jeunes frères, Jean et Paul ? Sont-ils à Valence, ou à Lyon ? Auront-ils le temps de venir pour l’enterrement ?

Il passe chez Firmin qui a l’habitude de jouer le rôle de témoin dans ces circonstances, il lui demande de l’accompagner à la mairie pour déclarer le décès de son frère. Il est 10 heures du matin. Il faut déranger le maire qui déteste ouvrir ce registre.

Urbain rencontre le curé à la sortie de la messe. Il annonce la triste nouvelle aux paroissiens qui lui présentent leurs condoléances; ce sera, ce jour-là, le sujet de discussion dans les familles et au café.



Aura-t-il le courage d’aller faire part du décès de Régis à ceux qui ne se trouvent pas rassemblés pour bavarder sur la place du village ce dimanche matin ? Il entre à l'auberge ou peut-être chez des connaissances, il accepte un verre de vin, un bout de pain avec du saucisson, un café chaud. Urbain sait que son frère et leurs cousins doivent les entourer. Il dit aux amis qu’il doit reprendre le chemin à travers les bois, pour être aux côtés de sa sœur Mariette qui veille leur pauvre Régis. Chez eux, c’est le premier décès depuis celui de leur mère, cinq ans auparavant, il se réjouit que Christine n’ait enterré aucun de ses enfants.

Je sais que seuls Mariette et Xavier seront en vie longtemps pour pleurer leurs frères, tombés les uns après les autres en 1914-1916-1921. Comme il doit être difficile de continuer de vivre lorsqu'on a tant de larmes dans les yeux.


Voir aussi :

Autour de Constance

Grande Guerre

Les rabots de Jean

 

 P.s. Ouvrons les yeux : Urbain a donné le prénom de Régis à son fils, né quatre ans plus tard. 

2022-01-16

Blog anniversaire 7 ans

 

Depuis sept ans, je chausse des bottes de sept lieues, je saute par-dessus les montagnes, je traverse les rivières, je passe de province en province, j’explore les forêts de nos ancêtres. 

Et je raconte leurs histoires dans les articles de « La forêt de Briqueloup ».


Ogre boulimique qui se nourrit de dates, de noms, d’actes, d’événements. Ogresse désolée qui pleure la mort de ses enfants. Petit Poucet persévérant qui sème des cailloux blancs pour ramener sa fratrie à la maison.



Au bout de la septième année, mon blog compte 382 articles.


Et sept ChallengeAZ, puisque séduite par ce projet d’écriture, je l’ai créé pour participer en 2015.


Cette année, j’ai enfin réussi à écrire sur mes ancêtres en Vivarais-Velay. Pour préparer le ChallengeAZ 2021, nous avons fait un agréable séjour en Auvergne. J’ai ajouté des dizaines de personnes dans mes deux forêts. Grâce à l’adhésion à la SAGA, j’ai pu lire des contrats de mariage, des testaments et différents actes qui donnent des éléments pour mieux les connaître.

 Alors que je n’attendais guère de surprises de ces branches de modestes laboureurs, voilà que leur généalogie remonte à l’époque des croisades ! J’explore les familles qui s’invitent dans l’Histoire de France.

Je vous en parlerai encore…

 


En 2021, j’ai publié 39 billets, c’est moitié moins que la première année. Mais, le nombre de visiteurs augmente, on compte 181k vues au cours de ces douze derniers mois ; ce graphique n’est qu’un indicateur, je sais qu’il ne faut pas prendre les chiffres à la lettre. Lorsque je débutais, un généablogueur m’a dit que le nombre de lecteurs est lié à l’ancienneté, c’est une bonne motivation pour ne pas perdre l’enthousiasme de la jeunesse. Les 200 commentaires témoignent d’échanges sympathiques. 


Les généathèmes m’ont motivée pour publier huit récits que je n’aurais peut-être pas écrits sans ce défi mensuel. Je me rends compte aussi qu’avec les 26 billets du ChallengeAZ, j'ai beaucoup avancé sur une branche un peu délaissée. Je remercie particulièrement Geneatech, je dois beaucoup à la communauté de généablogueurs qui donnent du souffle, de la visibilité et de l’amitié.


Mes projets pour 2022


Je suis en train d'inventorier et de numériser un quatorzième coffre d’archives confiées par des cousins éloignés. Celui-ci renferme des correspondances de lointaine parentèle, ce sont de collatéraux connus. Je suis impatiente d’ouvrir la boîte aux trésors.

Je voudrais pouvoir commencer le projet que je remets chaque fois à l’année suivante : « Rassembler, organiser, réécrire mes billets et imprimer un livre ».

 et 

Continuer à sauter les montagnes comme le petit Poucet avec les bottes de sept lieues.


https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tummeliten_1899.jpg