2018-08-31

Les mulets du sel_2

1709-1710, le Grand Hiver.

Les années 1709 - 1710 ont été particulièrement pénibles pour les pauvres gens.
Le Grand Hiver 1709 fut extrêmement rigoureux à partir du 6 janvier, la froidure détruisit les semences. Le gibier périt; les oliviers, les amandiers et les noyers gelèrent. Durant l’été suivant, les pluies firent pourrir les céréales. Les prix montèrent, la disette faisait mal au ventre des plus désavantagés. L’hiver 1710 fut également rude, maladies et pénuries alimentaires ruinèrent le pays. 

Matin d'hiver à Saint-Julien (Var)

Je ne sais pas ce qu’il en est dans l’auberge de Saint-Julien, mais on dit qu’à Castellane « Le blé était si rare qu’on ne recevait plus les étrangers dans les auberges, à moins qu’ils n’apportassent eux-mêmes le pain dont ils avaient besoin » [1]
A Paris, le roi ne s’inquiète guère des malheurs du peuple. Il est occupé avec la construction de Versailles et par les guerres d’Autriche qui coûtent cher. Dans les campagnes, les gens sont sollicités pour nourrir et loger les troupes qui traversent la Provence. Louis XIV a besoin d’argent, la gabelle apparaît comme une taxe fort impopulaire.

Le sel
Dans nos villages, on discute de cet impôt injuste. Le sel est précieux, indispensable pour la cuisine, pour la conservation des aliments. Il est précieux, mais pas rare, les Provençaux le savent. 
« Le sel ? Il est assez facile à produire, plus que le blé ou l’huile. Il faut de l’eau de mer, du soleil et du vent.» [2]

Les cultivateurs qui ont tant peiné lors des récentes intempéries se rendent bien compte de l’injustice, d’autant que les nobles y échappent. Les taxes ont augmenté, en 1710, jamais le sel n'a été aussi cher. La contrebande est bien tentante. Pourquoi payer cet impôt alors qu’il suffirait d’aller acheter le sel aux producteurs du littoral ? 

Sous ce renard, d'autres ancêtres cachaient du sel

Les faux sauniers
Beaucoup soutiennent ceux que l’on appelle les faux sauniers. Dans notre village, plusieurs hommes vont essayer de les aider à se sortir de ce mauvais pas puisqu’ils ont été arrêtés par les gabelous, ces douaniers à la solde des fermiers du roi.

Nous les avons rencontrés dans notre auberge où ils ont fait halte lors du premier épisode des mulets du sel. Ce jour-là (le 8/9/1710), après avoir servi les repas, notre hôte, Joseph Audibert, sort discrètement de chez lui pour prévenir ses voisins et amis. Ils se concertent pour voir ce qu’ils peuvent faire afin d’empêcher que les faux sauniers soient emprisonnés à Aix.

La famille Audibert en 1710
Mes ancêtres à la IX génération :
Joseph, le chef de famille est l'hôte qui tient l’auberge, il  a 53 ans. 
En février, le 4, son épouse Françoise Gaillardon accouche de jumelles, je ne sais pas si Anne survit, Honorate va vivre quarante sept ans.
Françoise, alors âgée de 37 ans, a donné naissance à six enfants. Le petit François, précédant les jumelles, n’a vécu que sept mois. Marianne va sur ses sept ans. J'ignore ce qu'est devenu Jean Antoine, né en 1701.
L’aîné, Joseph, a douze ans et demi, il sait déjà bien s’occuper des mulets qui s’arrêtent à l’auberge, il dit qu’il sera muletier, mais il aura aussi d’autres emplois. Ce n'est pas lui, comme on aurait pu le supposer, qui va reprendre l'auberge de ses parents.



[1] cité dans La vie rurale en haute Provence, Eric Fabre, AD 04, p.136,
source Laurensi Joseph, 1775

[2] Les mulets du sel, op cité, p. 22 

2018-08-25

Les mulets du sel_1

Voici un livre trouvé chez un bouquiniste que j’aurais dû acheter lorsqu’il est paru. Comme je regrette de ne l’avoir lu plus tôt et offert à mon père !
Du même auteur, Joseph Piégay, je possède « Au Moyen-Age entre Durance et Verdon » paru en 2004. Je viens aussi d’acquérir un passionnant petit ouvrage sur la toponymie qui m’incite à programmer des promenades à Vinon où vivait l’auteur.
C’est donc avec un grand intérêt que j’ai ouvert ce livre «Les mulets du sel » sans me douter qu'il m’apprendrait une histoire inattendue sur mes ancêtres.


Dès la première page du récit, nous sommes en 1710 à Saint-Julien, l’action se passe à l’auberge. Autant dire exactement dans notre maison !


L’auberge, il n’y en a qu’une, quant à l’aubergiste, je le reconnais vite, c’est Joseph Audibert (sosa 344). Même s’il est cité sous un surnom « Masseau » que je découvre, ceci ne m’étonne guère. Prononcez-le Maceou, et il m’évoque son grand-père Marcel Audibert (le Berger venu de Blieux)
Françoise Gaillardon(e) (sosa 345), sa femme, a un rôle actif ce jour-là, elle n’est jamais désignée comme aubergiste, mais c’est évidemment sa profession.
Il paraît que ces hôtes avaient pour les aider une jeune servante ainsi qu’un cuisinier et un mitron. J’aimerais bien connaître leurs noms. Je n’avais pas pensé que la dimension de l’auberge les pousse à employer du personnel. J’imaginais Joseph recevant ses hôtes dans notre salle à manger et Françoise préparant la soupe dans la souillarde à côté.
l'arrière cuisine de l'auberge
Le récit propose un menu plus appétissant, en changeant de catégorie l’établissement acquiert des étoiles. Sentez-vous les fumets des daubes et des civets arriver jusqu’à nous ?


Nous sommes le 8 septembre 1710, traditionnellement Notre Dame de Septembre est un jour de fête pour le bourg.
Les habitants se réjouissent, j’ai essayé de rencontrer quatorze de mes ancêtres présents ce jour-là dans le billet précédent. Les voyez-vous danser la farandole ?

Cependant, ce qui se passe dans la salle de l’auberge va avoir des conséquences terribles. Deux hommes prisonniers, sous la garde de brigadiers, font halte dans la fraîcheur de la maison, pendant que leurs mulets se reposent à l'écurie.  Ils doivent être conduits aux prisons d’Aix ; ils risquent gros, car ils sont accusés de faire de la contrebande du sel.

Discrètement, l’un d’eux tend une bourse contenant 28 écus à Françoise Gaillardon. Elle sera plus en sûreté cachée ici, il est préférable que ce ne soit pas une preuve à charge impliquant les faux sauniers et leurs comparses. 
Mais voilà les hôtes compromis, la suite de cette histoire nous montrera qu'ils sont du côté des muletiers.

2018-08-18

Entrons dans la farandole


Le bourg est en fête, processions, chants, repas partagé et danses animent Saint-Julien-le-Montagnier. Les habitants célèbrent la Nativité de la Vierge en ce 8 septembre 1710.
En ce jour de Notre Dame de Septembre, on renouvelle, tacitement ou par contrat, les baux fermiers avant les semailles. 

Ce temps de réjouissances, à la fin de cet été où la récolte a été particulièrement abondante s'avère appréciable, car la population a tant souffert lors des  terribles années 1708 et 1709.

Ce #RDVAncestral est le prologue d’une série de billets qui vont relater une affaire fâcheuse, laquelle mettra en danger l’un de mes ancêtres et sa famille, ses amis, et des pauvres gens qui ont essayé de survivre et de se révolter contre l’injustice des impôts du roi.
Je propose que ce #RDVAncestral soit l’occasion de rencontrer quatorze de mes ancêtres qui ont pu participer à ces festivités, le 8 septembre 1710. Entrons dans la farandole, ce titre m’est inspiré par «La ronde des ancêtres» de Fanny-Nésida.


Les voilà ! Mes aïeux qui sortent de l’église en procession avec leurs cousins, leurs frères et sœurs, ainsi que leurs voisins. Nous allons nous joindre à eux. Entrons dans la farandole...


Un homme observe l’église, il a des raisons d’être fier de son travail. Je vais féliciter François Philibert (sosa 696). C’est lui le maître maçon qui effectue les réparations. J’évite de dire à Marguerite Garcin (sosa 697) que dans deux mois elle sera veuve, ayant à assumer la charge de leurs six enfants. Elle rassure la petite Isabeau en la portant dans ses bras, car tant d’agitation l’effraye.

Les tambourinaïres rythment la farandole qui se constitue. Mes enfants se laissent entraîner à leur tour par les jeunes du village qui forment une ronde sur l’aire.

Les enfants de François et de Marguerite discutent déjà avec leurs amis. Joseph Philibert (sosa 348), celui qui a 15 ans, est apprenti, il va continuer le travail de son père. Il ne sait pas encore que Thérèse Gastaud (sosa 349) sera sa première femme. Elle parait un peu plus vieille que lui et elle aimerait que sa belle-mère et son père, Jacques Gastaud (sosa 698) qui est régent des écoles, relâchent leur surveillance. Elle prend la main de Joseph et les jeunes gens se lancent dans la danse, accompagnés par les chants des anciens.


Je n’ose dire à Mathieu Pellas et Thérèse Vassal (sosas 702 et 703) qu’ils ont fait l’objet de mon précédent billet. Ils échangent des regards tendres. Thérèse porte dans ses bras leur septième enfant âgé de cinq mois. Le prochain va naître dans … exactement neuf mois.
Anne, la jeune sœur de Thérèse, arrive de Vinon, dans quelques semaines, elle va épouser un gars d’ici. La fête est une occasion de venir à Saint-Julien, elle entre dans la farandole avec Jean, son fiancé.
Oh, mais les langues vont bon train ! J’apprends que Marguerite, sa nièce, va de surcroît devenir sa belle-sœur. On m’explique que le même jour, la fille de Thérèse Vassal va épouser le frère de son futur oncle.
Marguerite Gautier (sosa 1405) la grand-mère de Marguerite, dit qu’elle est heureuse de voir danser tous ces jeunes. 

Je vais taquiner Claude Aymar (sosas 1400),  je le trouve bien vaillant à 69 ans, lui qui pensait mourir alors qu’il avait 35 ans.
Elle rit de m’entendre parler ainsi à son mari, Hélène Capon 59 ans (sosa 1401). Elle se souvient que j’assistais dicrètement à son mariage à Manosque en 1675. Elle tient à me présenter leur fils Joseph Aymar (sosa 700) qu’ils ont marié avec Suzanne Buerle (sosa 701) en mars de l’année précédente.

Joseph va danser, mais Suzanne se sent déjà un peu essoufflée, lourde de leur petit qu’elle porte depuis quatre mois.


Je m’étonne de ne pas trouver Joseph Audibert et Françoise Gaillardon (sosas 344 et 345). On me confie qu’ils sont trop occupés à l’auberge, ils reçoivent un groupe insolite dont les gens commentent à voix basse l’arrivée dans les lieux. Deux muletiers avec plusieurs mulets au chargement mystérieux, encadrés par des hommes en habit de la ville qui inspirent la méfiance. Les habitants continuent la fête comme si de rien n’était, en espérant que cette visite ne leur apporte pas d’ennuis.


2018-08-11

La mariée était si jolie


La mariée était jolie, c’est ainsi que je vois, le 26 juillet 1693
Thérèse Vassal au bras de Mathieu Pellas (sosas 702 et 703)

« laquelle a déclaré avoir esté ornée de l’habit  nuptial d’estamine qui a esté fait à commungs frais, de la valleur de trante livres »


Leur contrat de mariage que j’ai pu lire alors que mes recherches étaient encore jeunes, m’est apparu comme une invitation à la noce, un début de prospérité pour mon arbre généalogique.


Avec mon groupe de paléographie, nous l’avons étudié. L’écriture est très lisible, mais les subtilités des formules employées par le notaire provençal ne m’étaient pas encore familières. Ma collection a augmenté depuis, mais ce contrat reste un de mes préférés.

Le compte de la dot fait apparaître un déséquilibre entre les futurs époux.
Mathieu dispose de « la somme de cinq cens livres de l’ordonnance 
scavoir cent cinquante livres de son chef 
et le restant en desdution et comte de l’héritage dudit feu Pellas son père. » 
Tandis que Thérèse apporte « la somme de trois cens livres comprins ses hardes »
Si Thérèse fait un beau mariage, c’est qu’elle devait être séduisante, en dépit de sa (faible) dot.

Elzéar Pellas, le père de Mathieu, décédé environ quatre ans auparavant, a laissé un héritage conséquent qui n'est pas réglé. Mathieu qui a 27 ans, semble être l’aîné, il est encore mineur.


Thérèse est choyée par son grand-père dont je suis heureuse de connaître ainsi l’existence.
« Issy présant en personne Jacques Jaubert Ayeul de ladite Vassal 
lequel a constitué  en augmant de doct à ladite Vassal sa petite fille 
la somme de dix sept livres au prix de quelques hardes 
que ladite Gautiere recognoit parellement avoir receu ».
« Ladite Gautière », c’est Marguerite, la mère de Mathieu, qui accuse réception des habits de sa belle-fille !
Ce jour-là il est important de bien savoir compter. La mère de Thérèse, Catherine Jaubert a participé en donnant « trante livres de son chef » et « deux cens septante livres restantes du chef  dudit Vassal »
Soit 30 + 270 ce qui fera bien 300 livres de dot.
Les versements se font en plusieurs fois : 122 + 78 ledit jour suivis de deux versements de 50 livres aux deux prochains anniversaires du mariage. 
« 122 livres réellemant en escus blancs et en autres espèsse de monoye courante 
au veu de Nous Notaires et tesmoingz 
Plus soixante dix huit livres au prix des hardes de ladite future espouse »
« Et quant aux cent livres restantes 
ladite Vassal promet les acquiter en deux payes esgales 
la première du jour d’huy à une année 
et l’autre à semblable jour l’année d’après »


Le contrat a été signé dans la maison dudit Vassal à Vinon. Jean Vassal est marchand.
Je suis loin de connaître toutes les dates et Thérèse et Mathieu.
Vivaient-ils dans le lieu-dit « Les Pellas » ou plus probablement dans le bourg de St-Julien ? On rencontre au moins trois familles Pellas de niveau social différent. Attention à ne pas confondre mon Mathieu Pellas avec son homonyme qui dessine une belle ruche lorsqu’il signe, comme celle de Pierre Pellas sur le contrat de Mathieu et Thérèse (qui disent ne savoir signer).



L’étude des contrats de mariage est un projet que j’ai commencé en dressant un tableau sommaire pour comparer le montant des dots, mais cela devient vite complexe à visualiser.
Qui, parmi mes lecteurs, a déjà répertorié facilement les différents items consignés dans ces contrats ?
argent : escus et livres, hardes et joyaux, meubles, logis et terres … sans omettre les obligations diverses envers les parents.

La mariée était jolie ! Cette déduction hâtive à la lecture d’un contrat de mariage n’est-elle pas représentative des idées que l’on peut graver sur nos ancêtres... Ce texte n’engage que moi et j’espère que Thérèse Vassal n’en sera pas froissée.

Bibliographie :
Les régimes matrimoniaux en Provence à la fin de l'Ancien Régime, Contribution à l’étude du droit et de la pratique notariale en pays de droit écrit. Jean-Philippe Agresti, Presses Univ Aix Marseille.
Disponible sur Internet : https://books.openedition.org/puam/848

Le contrat intégral est à lire en page suivante ...

2018-08-06

Entre la chaîne de l’Etoile et la montagne Sainte-Victoire

Avant de s’installer à Marseille, mes aïeux vivaient entre le massif de l’Etoile et la montagne Sainte-Victoire.

Et si nous allions dans cette région pour voir ce que sont devenus leurs villages ?
Ma proposition ne soulève guère d’enthousiasme à l’idée de se promener dans ces lieux convertis en zones commerciales, en zones industrielles aux portes d’Aix-en-Provence.
L’occasion s’est présentée récemment, après un rendez-vous à la gare de TGV, nous nous sommes dirigés vers l’est. Là où aucun guide touristique ne nous aurait envoyé, j’ai eu la surprise de découvrir un paysage séduisant, c’est l’envers du décor que nous connaissons au nord de Marseille et au sud d’Aix.

Voilà le panorama que pouvaient admirer nos ancêtres : les barres des roches calcaires de la Montagne Saint-Victoire, soulignées par les verts des pinèdes et des chênaies.

Depuis Fuveau, la montagne Sainte-Victoire

De cette branche familiale, je connais à peine quatre générations des ancêtres de Magdeleine Decomis.

Magdeleine (sosa 73) s’est mariée il y a 191 ans avec Guillaume Nicolas le 28 juillet 1827 à Marseille. Elle est morte à l’âge de soixante-dix-sept ans dans cette ville.
Ses ancêtres ont vécu à Fuveau, à Rousset, à Bouc-bel-Air.


Pierre Chaudoin, son arrière-grand-père, était tisseur à toile à Bouc-Bel-Air. Son atelier devait être semblable à celui que j'ai décrit dans le billet précédent.

Il s'est marié avec Gabrielle Gazel (dont le nom me plait beaucoup). C’était le 10 septembre 1668, il y a 350 ans.
Dans cette même église, sa fille Anne épousa Pierre Decomis en 1703.

Bouc-bel-Air, l'église XIe siècle

On peut sans peine l’imaginer 
allant dans ces rues étroites, 
montant jusqu'au château, 
pour livrer ses draps de laine. 




A présent j’ai exploré leurs villages, je vais approfondir mes recherches pour mieux connaître la composition de leurs familles.

Lorsque je peux me rendre sur les lieux où ils ont vécu, cela me charge en énergie pour comprendre et faire grandir les arbres de cette nouvelle forêt de mes ancêtres.