2022-03-26

Une Lyonnaise dans les airs

 

Vous avez été nombreux à lire "Dans le ciel de Lyon", le précédent billet qui vous invitait à assister, avec nos ancêtres lyonnais, le 19 janvier 1784, au premier vol libre emportant des passagers dans le ciel de Lyon. Si l’aventure vous tente, je vous propose d’embarquer avec la première femme aéronaute. Le 4 juin 1784, à Lyon, l’événement attira une  foule semblable.




Élisabeth Tible est une héroïne mystérieuse et attachante. Plusieurs légendes la décrivent comme une jeune, belle et courageuse aventurière, la première femme parmi les pionniers des vols en ballon.

On raconte qu’elle a été mariée à douze ans, puis abandonnée par son époux, ce qui lui a procuré une grande liberté. Au-delà de la légende, j’ai recherché les sources pour mieux la situer. J’ai retracé sa généalogie. J'ai élaboré d'autres hypothèses pour comprendre sa famille et ses relations. . 



Isabeau Estrieux est née à Lyon le 8 mars 1757. Avec ses parents : Agathe Declaustre et Pierre Estrieux, marchand « clincalier » (quincallier), elle habitait rue Mercière.  C'étaient sûrement des voisins que nos ancêtres connaissaient.


Rue Mercière au 16e siècle

Elle épousa Claude Tible, marchand de bas de soie, le 12 janvier 1772, il avait trente ans, elle en avait donc quatorze. Son contrat de mariage précise qu’elle est « marchande de mode ».


Montgolfière La Gustave par Charles-Ange Boily 

Quel chemin l’a conduite à proximité des organisateurs de l’envol de la montgolfière ? C’est le deuxième à Lyon, et le troisième voyage aérien prévu pour transporter des hommes. Élisabeth avait confié à une amie « Tu sais combien je désirais m’élever dans les airs par le moyen d’un aérostat. Tu sais que si ma santé défaillante depuis quatre ans me l’eut permis à l’origine des Montgolfières, j’aurais peut-être donné l’exemple aux hommes qui m’ont tracé la route des cieux ». Par chance, le comte Jean Espérance Blandine de Laurencin lui laissa sa place. Elle embarqua avec le sieur Fleurant, le peintre qui a construit le ballon. La montgolfière, nommée la Gustave, en l’honneur du roi de Suède en visite à Lyon, décolla sous les applaudissements de la foule. Parmi les Lyonnais qui avaient assisté au vol précédent, beaucoup auraient souhaité se trouver à la place d’Élisabeth, et sûrement nos ancêtres levaient les yeux vers le ciel.

Élisabeth s’était habillée en costume de Minerve, coiffée d’un chapeau oriental à large bord, elle portait une robe blanche de taffetas serrée à la taille par une ceinture de soie bleue. Lorsque le ballon s’éleva, elle entonna l’ariette en vogue, de la Belle Arsène : « Je triomphe, je suis reine ». On dit qu’elle était soprano à la Comédie. 

Les conditions étaient idéales, en quelques minutes, le ballon atteignit mille cinq cents mètres d’altitude; malgré l’euphorie ressentie, la jeune femme a dû regretter sa tenue légère.

« Un froid subit nous saisit en même temps, ma compagne et moi ; il fut suivi d’un bourdonnement aux oreilles qui nous fit craindre de ne plus pouvoir nous entendre [...] Ces deux sensations durèrent peu et firent place à un état de bien-être et de suave contentement qu’on ne goûterait, je pense, dans aucune potion » expliqua Fleurant. 

« Les délicieuses rêveries » d’Élisabeth furent interrompues par un incident. Une des planches de la nacelle se disjoignit. Pour se tenir en équilibre, elle dut s’accrocher au cercle de la galerie, tout en continuant à alimenter le foyer. Le sieur Fleurant dit que « Mlle Tible qui a été la première de son sexe portée sur les ailes des Airs, a mis une précision, une prudence attentive et réfléchie à alimenter le réchaud placé au-dessous de l’aérostat. Il a ajouté que le sang-froid et le courage de sa compagne ont fait tout le succès de l’expérience ».


La montgolfière monta à 2 700 m. Il faisait froid, ils ressentaient des douleurs dans les oreilles et il devenait difficile de respirer. Fleurant diminua le feu pour descendre. Il fallut choisir un terrain convenable. La chute s’accéléra, la voilure éclata, le ballon tomba incliné, et la toile s’abattit sur les passagers avant de s’embraser. Aveuglée par la fumée, Élisabeth se blessa légèrement en dégageant son pied de la galerie. Malgré tout, ils réussirent à sortir sains et saufs.

Élisabeth ne pouvait pas marcher. Les deux héros ont été portés en triomphe sur des fauteuils ; au bout d’un moment, ils préfèrent montrer dans la voiture. «L’allégresse publique ne diminua point pour cela : tous les citoyens des quartiers de Vaize et de Bourgneuf, dans lesquels nous passâmes, vinrent nous complimenter aux portières. »

Si je les avais vus lorsqu'ils sont passés devant ma maison, j’aurais couru dire mon admiration à ces courageux aéronautes. 

 


Ce billet est issu de ma présentation pour une conférence au groupe  Patrimoine et Familles du Lyonnais (PFL).

Le projet est venu d’un appel à enrichir les articles Wikipédia, (il m'a été lancé par Pierre que je remercie). J'ai partagé mes sources, qui sont accessibles dans la bibliographie et les liens cités dans ces articles, à voir sur Wikipédia : 

Élisabeth Tible

La Gustave (montgolfière)

En 2022 est créé un opéra inspiré par la vie d'Elisabeth. La compositrice est Lisa Bielawa :  Tible http://www.lisabielawa.net/la-ballonniste




Ps. Je dois un grand merci à Sandrine; cette correspondante a trouvé des informations inédites qui sont bien utiles pour mieux connaitre Elisabeth Tible. 


2022-03-03

Dans le ciel de Lyon

 

Tout le monde levait les yeux vers le ciel de Lyon, en ce jour d’hiver du 19 janvier 1784.

 


Cela faisait plusieurs semaines que l’événement se préparait, les curieux étaient allés voir les essais de l’installation de la montgolfière dans la plaine des Brotteaux.

Des passionnés avaient mis en œuvre ce projet audacieux; Lyon allait prendre place dans les villes à la pointe du progrès en accueillant le troisième vol en ballon libre. 

C’étaient des esprits éclairés, des constructeurs, des courageux aventuriers, et des mécènes… ces hommes qui ont participé à l’organisation autour des frères Joseph et Etienne Montgolfier. Ceux-ci avaient réalisé les premières expériences à Annonay, l’année précédente.



Qui pourrions-nous reconnaître dans la foule qui assista à l’envol du ballon le Flesselles, le 19 janvier 1784 ? Il y aurait 100 000 personnes, dit-on ; en vérité, ce nombre semble exagéré, car la population de Lyon comptait alors environ 150 000 habitants.

 

Sans doute, tous les Lyonnais de notre forêt généalogique s’étaient déplacés, accompagnés de leurs cousins, des amis, des connaissances. Je suis sûre que plusieurs de nos ancêtres devaient se trouver là, fiers et curieux d’être les témoins de cet exploit.

 

Parmi les officiels, on remarquait : l’intendant, Jacques de Flesselles dont le ballon porte le nom, le pilote, Pilâtre de Rozier qui avait décidé que ce vol transporterait des passagers, le principal mécène, Jean Espérance Blandine de Laurencin, Jean Antoine Morand qui se réjouit de voir autant de passage sur son pont, ceux qui ont traversé le Rhône ont payé le péage ! Et Joseph Montgolfier dont ce fut l’unique vol.


 

Pierre Antoine Barou fut l’un des organisateurs de la souscription, c’est le cousin germain de Marguerite (sosa 373). La fille d’Étienne Montgolfier allait épouser un petit cousin à eux.



Pas facile de se frayer un passage parmi les nombreux spectateurs, on se bousculait, on s’interpellait, on se saluait.

Je suppose que l’on aurait pu rencontrer : Antoine Gontelle et Élisabeth Amory, et aussi Gaspard Margaron, sa femme Marie Clerc et leurs enfants, ainsi que Pierre Chartron, son épouse Marguerite Sauzion et leurs enfants. Ils marièrent leurs jeunes (sosas 178 et 179) le 15 août de cette année 1784. Il est bien possible que les familles Sandier et Mital et Durand se soient déplacées vers le centre-ville pour assister à l’événement.


Voici Le Flesselles, impressionnant par ses proportions gigantesques.



« Dès que le ballon fut enflé, le prince Charles, les comtes de Laurencin, de Dampierre et de Laporte s’y jetèrent. Ils étaient tous armés et bien décidés à ne pas céder leur place à qui que ce soit. M. Pilâtre […] proposa de réduire le nombre des voyageurs à trois et de tirer au sort. Personne ne voulut descendre. Ce débat s’animait. Les quatre hommes placés dans la galerie crièrent de couper les cordes. M. L’Intendant pensa qu’il convenait de les satisfaire. À l’instant où on coupa les cordes, M. de Montgolfier et M. Pilatre se jetèrent dans la galerie.* »

Alors que le ballon commençait à décoller, le sieur Claude Gabriel Fontaine, un jeune homme qui avait eu beaucoup de part à la construction de la machine s’accrocha.

Alors, la montgolfière tourna, baissa un peu, renversa deux pieux. Elle resta attachée par une corde qu’une personne intelligente coupa d’un coup de hache.

Il était midi ¾. Le vent était faible et la marche lente, mais l’effet parut extraordinaire .

Les voyageurs étaient très gais.

En quatorze minutes, l'aérostat s’éleva à plus de 10 ou 18 cents pieds. Il se dirigea vers le Rhône. De crainte de tomber dans le fleuve, les voyageurs alimentèrent le feu pour monter plus rapidement. Le vent ayant tourné, le ballon revint au-dessus des Brotteaux.

Il se déchira là où les toiles avaient déjà été endommagées par les intempéries des jours précédents. Le ballon resta un instant stationnaire. La déchirure contraignit Pilâtre de Rozier à lâcher du lest, pour ralentir la chute de la machine. À cause de l’atterrissage brutal, on déplora quelques contusions et des dents cassées, les aéronautes furent accueillis en triomphe. L’émotion des spectateurs s'exprimait par des cris et des battements de mains.



Parmi les Lyonnais présents, j’aimerais reconnaître ceux dont je n’ai jamais vu la silhouette, des hommes, des femmes, des enfants participant à l'enthousiasme de cette foule.

 Voir l’article que j’ai créé sur Wikipedia :

 Le Flesselles (Montgolfière)

L'envol suivant, cette même année 1784 à Lyon :

Une Lyonnaise dans les airs 

Sources :

Jean-Baptiste de Laurencin, Lettre à M. de Montgolfier, 1784 (lire en ligne

  • Faujas de Saint-Fond, Description des expériences de la machine aérostatique de MM. de Montgolfier, 1784 (lire en ligne sur Gallica)