Il arrive que l’on soit contacté par des lecteurs intéressés, mais là je ne m’attendais pas à ce partage fabuleux.
Sous l’article « S’envoler » qui relate les batailles aériennes auxquelles a participé notre grand-père, en 1915, un message arrive d’Allemagne. Il apporte ces précisions à mon récit :
« Les adversaires de Turin et de Laplace étaient deux monoplans Fokker avec Max Immelmann et Oswald Boelcke ». Mon mystérieux correspondant ajoute : « Salutations de Dresde ».
Un échange d'informations s’engage avec Hannes de plus en plus amical. L’auteur, passionné par les pionniers de l’aviation, prépare une biographie d'Immelmann.
Je vous propose de découvrir les deux versions de la bataille aérienne que racontait Antoine dans une lettre à ses parents en septembre 1915 (que j’ai transcrite dans cet article).
Du côté d’Antoine
La série d’articles retraçant les années 1913-1917 du grand-père Antoine était nécessaire pour mettre au clair les zones tristes ; elle fut difficile à écrire, car elle raconte l’histoire d’un couple d’amoureux qui traverse une dernière année tragique.
La deuxième offensive d’Artois se prépare. Les troupes franco-britanniques se rassemblent sur le front.
Les aviateurs effectuent des missions de reconnaissance en survolant les terrains sensibles. S’ils rencontrent des chasseurs ennemis, leurs repérages prennent la tournure de violentes batailles aériennes.
Morane-Saulnier L Wikimedia CC BY-SA 4.0 |
L’escadrille vent de se doter d’un nouveau modèle d’avion, le Morane Saulnier, type L avec son aile parasol.
Le 11 septembre 1915
Antoine décolle à bord d’un Morane, en qualité de copilote, aux côtés de son capitaine René Turin, commandant de l’escadrille.
Du côté des Allemands
Les versions des Allemands Oswald Boelke et Max Immelmann, divergent sur quelques points, mais apportent des informations intéressantes.
Fokker E.III. |
Mon correspondant qualifie la situation de la soirée par ces mots : « after a few dogfights », il faut comprendre qu’ils ont mené des batailles aériennes entre avions de chasse à courte distance, ce qui nous met dans l’ambiance.
La nuit commençait à tomber, il est temps pour chacun de rejoindre la base. Au sol, les hommes dans les tranchées ont suivi leurs combattants avec inquiétude sûrement. Les Allemands veulent leur montrer qu’ils ont dominé la bataille et décident d’effectuer quelques virages dans les airs. Les pilotes sont connus comme des champions des manœuvres acrobatiques. La figure de voltige nommée Immelmann est encore célèbre, il était capable d’exécuter un demi-looping suivi d’un demi-tonneau pour surprendre ses adversaires par l’arrière. Constatant que le niveau d’essence baisse, ils se préparent ensuite à atterrir.
À ce moment-là, les Français décident d’attaquer.
Oswald Boelcke raconte « Et voilà, tout à coup les gars ont la folie des grandeurs et m’attaquent avec un nouveau type de biplan, avec un fuselage et très rapide. Mais ils semblaient surpris que nous non seulement nous laissions attaquer calmement, mais que nous nous réjouissions au contraire d’avoir enfin quelqu'un qui ne s'est pas enfui immédiatement. »
Dans un même élan non concerté, les deux pilotes Allemands font demi-tour et se rapprochent des Français. Ils tirent et atteignent René Turin. Max Immelmann dit : « Puis soudain, je vois, je n’en crois pas mes yeux, comment le pilote ennemi lève les deux bras. Son casque tombe en un large arc de cercle et un instant plus tard, l’appareil tombe verticalement de 2 200 mètres dans les profondeurs. Une colonne de poussière le montrait en train d’impacter. »
Boelke décrit la chute : « J’ai dû blesser mortellement le Führer. Il a soudainement levé les deux mains et l’avion est tombé verticalement. Je l’ai vu tomber tout en bas. Il s’est retourné plusieurs fois puis est tombé verticalement dans la partie Est d’Ablain. Ablain se trouve à environ 400 m devant nos tranchées. Tous les gens dans la tranchée étaient contents du combat aérien et il est clairement établi que l’avion a été complètement détruit et que les occupants étaient morts. Immelmann l’a également vu tomber et était très heureux de notre victoire. »
En réalité, voyant que le pilote blessé à la jambe a perdu connaissance Antoine Laplace a réussi l’exploit de reprendre le contrôle de l’appareil, de le redresser à 500 m du sol, de passer à travers « d'un feu d’enfer transformant notre appareil en écumoire » et de le poser à terre.
Chacun des deux pilotes allemands fait également un atterrissage d’urgence, le moteur s’arrête en raison d’un manque de carburant. Ils doivent toucher terre dans l’obscurité.
Épilogue
Ce jour-là, les hommes rentrent sains et saufs dans leurs tranchées où leurs camarades les félicitent. Le pilote blessé va être soigné. Laplace reçoit la croix de guerre, il est proposé pour la Légion d’honneur. Boelke et Immermann ajoutent cette victoire à leur palmarès, ils seront décorés et considérés comme des as.
Voici le témoignage d’un de leurs collègues :"... ces chasses fantastiques sont folles de danger, mais on a l’impression qu’on rend un service personnel à son pays, et toutes les fois, on lui offre sa vie."
Les quatre hommes vont trouver la mort avant la fin de la guerre. Très jeunes, tous ont fait preuve d’un courage extraordinaire pour voler dans des avions aussi fragiles et affronter le feu des ennemis. Nés en 1888, 1890 et 1891, ils étaient sensiblement du même âge. Passionnés d’aviation, leurs parcours étaient similaires.
Ils auraient pu être amis.
Oswald Boelke & Max Immelmann
Voir aussi dans la série "Antoine et Marie" :
La mort ou la vie pour compléter l'article ci-dessus
puis
Marie, jeune épouse dans son nouveau foyer
Source : articles Wikipédia
Oswald Boelcke : https://fr.wikipedia.org/wiki/Oswald_Boelcke
Max Immelmann: https://fr.wikipedia.org/wiki/Max_Immelmann
Immelmann (voltige) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Immelmann_(voltige)
Fokker E.III : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fokker_E.III
Maurane-Saulnier : https://fr.wikipedia.org/wiki/Morane-Saulnier_Type_L