- Donnez-moi des nouvelles, j’ai eu
vent de l’actualité de votre époque. Je suis mort depuis 330 ans, cependant, je
jette un œil sur vous. J’ai senti l’odeur de l’incendie
qui a brûlé la cathédrale Notre-Dame, le 15 avril 2019. Cette catastrophe a
réveillé en moi d’horribles souvenirs.
- Cher Thomas, j'imagine le
cauchemar que vous avez vécu lors de l’incendie de l’Hôtel de Ville de Lyon, en 1674. Je voudrais vous rassurer, nous
allons reconstruire la cathédrale de Paris.
- Ah tant mieux ! Vous a-t-on dit que l’un de mes tableaux se
trouvait là ?
- Le May ? Ne craignez rien, il n’y est plus.
- Oh cela m’inquiète, où
l’avez-vous mis ?
- On peut l'admirer au musée
d’Arras, dans la salle des Mays, parmi les treize toiles provenant de
Notre-Dame de Paris.
- A-t-il été abîmé ?
- Les spécialistes l'ont bien
restauré, il en avait besoin, car le mauvais état ne permettait pas d’apprécier
le coloris, la lumière, ni le modelé des figures[1]. D’après la conservatrice[2] :
« L’œuvre a retrouvé son éclat, ses coloris clairs et précieux, sa
luminosité rosée et légèrement voilée. »
- Je vois que l’Histoire n’a guère
respecté nos œuvres.
- Je suis désolée de vous apprendre que
les guerres et les révolutions ont causé des dégâts. Cependant, plusieurs
tableaux ont été préservés. J.F. Depelchin. Vue intérieure de Notre-Dame en 1789. Paris, musée Carnavalet |
- Soixante-seize Mays se trouvaient à Notre-Dame[3]. Le 15 décembre 1793, votre tableau est sorti, il a été confié au Louvre, puis envoyé à Arras en 1938.
- Une partie des tableaux a pu revenir
à Notre-Dame. Avant l’incendie du 15 avril 2019, il restait treize Mays dans
les chapelles de la nef.
- Et maintenant, sont-ils intacts, ou … (je n’ose l’imaginer) ... les
Mays de mon ami Charles Le Brun ont-ils été brûlés ?
- Ils ont été sauvés. Je vais vous montrer le Tweet du Musée du Louvre.
Savez-vous que le palais du Louvre est devenu un musée prestigieux ? Deux tableaux et vingt-quatre de vos dessins sont conservés dans les collections.
Savez-vous que le palais du Louvre est devenu un musée prestigieux ? Deux tableaux et vingt-quatre de vos dessins sont conservés dans les collections.
- Alors toutes mes œuvres ne sont
pas perdues ?
- Les musées, les collectionneurs
en possèdent, parfois il s’en vend sur les marchés de l’art.
Regardez, c’est votre projet du May, mis
au carreau à la sanguine.
Il figure dans la collection des
maîtres anciens, parmi les incontournables du Kunstmuseum de Bâle[4].
Th. Blanchet, L'Enlèvement du Saint Philippe, Bâle, Kunstmuseum |
- Tiens, ils ont traduit le nom ! Mon May s'intitule « Le Ravissement de saint Philippe ».
J’ai dessiné à la plume et au pinceau, j’ai ajouté des lavis d'encre brune et d'encre grise et j’ai éclairé la scène avec des rehauts de blanc.
Il existe d'autres répliques de ce tableau : croquis,
gravure, dessin ...
- Racontez-moi comment vous avez
peint votre grand May.
- En 1663, la Confrérie des Orfèvres
de Paris m’a commandé un tableau votif que je devais réaliser pour l’offrande
du premier de May à la Sainte Vierge.
C’est une ancienne tradition qui date
du moyen-âge. Jusqu’en 1630, on produisait de petits Mays, mais après ils
voulaient de grands formats, mesurant 11 pieds de haut (soit environ 3,50 m) sur 8
pieds 6 pouces de large (soit environ 2,75 m).
Je me souviens : en 1632, j’avais dix-huit
ans, je fréquentais encore l’atelier de Simon Vouet. Cette année-là, c’est
Aubin Vouet, son jeune frère qui réalisa le May.
En 1663, je vivais à Lyon, ce fut
pour moi un honneur d’être sélectionné parmi les meilleurs, cela m’a fait
plaisir de revenir à Paris pour présenter cette œuvre.
- Qui a choisi le sujet précisément ?
Le thème du tableau devait être
tiré des actes des apôtres de Saint Luc. Les Chanoines de la cathédrale se
montraient exigeants. La fête de Saint Philippe était
alors célébrée le 1er mai, illustrer l’histoire de ce saint pour
cette date m’a paru une bonne idée.
- Avez-vous le temps de nous en
dire un peu plus sur le sujet de cette scène ?
- Voilà le récit : Philippe marchait
sur la route de Jérusalem à Gaza, lorsqu’il rencontra l’eunuque, trésorier de
la Reine Candace d’Éthiopie. Invité à monter sur son char, il discuta un moment
avec lui. A sa demande, il le baptisa, et «quand ils furent remontés de
l’eau, l’Esprit du Seigneur enleva Philippe et l’eunuque ne le vit plus »[5].
Avec l’envol de Philippe entraîné par l’ange, j’ai voulu que l’on voie un opéra baroque, dans le goût italien. Je me suis inspiré d’un tableau de Poussin et d’autres que j’ai rencontrés à Rome.
- On a dit que votre May était l’un des plus réussis de ceux de Notre-Dame.
Voici les billets qui mettent en scène Thomas
Blanchet:
1 Thomas Blanchet 1614-1689, Lucie Galactéros, Ed Arthena, 1991, p.353
[2] Annick Notter, conservateur en chef du musée des Beaux-Arts d’Arras, in L’objet d’art n°334
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_Mays_de_Notre-Dame
[4] https://kunstmuseumbasel.ch/fr/collection/incontournables#&gid=1&pid=12
[5] Acte des Apôtres VIII, versets 26-40
[2] Annick Notter, conservateur en chef du musée des Beaux-Arts d’Arras, in L’objet d’art n°334
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_Mays_de_Notre-Dame
[4] https://kunstmuseumbasel.ch/fr/collection/incontournables#&gid=1&pid=12
[5] Acte des Apôtres VIII, versets 26-40
Michele Vin
RépondreSupprimerSuper idée merci c'est chouette de commencer un dimanche par cette lecture ...
Passionnant !
RépondreSupprimerDialogue étonnant qui nous en apprend toujours plus sur Thomas Blanchet. Très intéressant en tout cas !
RépondreSupprimerLorsque présent et passé se confondent, désormais les célèbres Mays et leur genèse sont moins abstraits dans mon esprit.
RépondreSupprimerJ'ai essayé, avec ce dialogue fictif, de comprendre ce que représentent les Mays de ND. Thomas B. m'a bien aidé !
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