Mars 1699, en Provence.
La nuit envahit la grand-rue qui
monte vers le haut du bourg de Saint-Julien.
Le vent apporte le parfum du bois
qui brûle dans les cheminées, il fait encore frais en ce mois de mars 1699. Les
nuages s’écartent et la lune qui se lève éclaire de sa clarté.
Alors que j’approche de notre maison,
je vois sortir une femme, elle est suivie d’un homme.
Elle porte une chandelle et une
sorte de boîte avec une lueur rougeoyante. Ils marchent en silence. Ils ne
semblent pas me voir, sont-ils des fantômes ou bien suis-je transparente ?
Elle a confié la petite lanterne à
la chandelle à cet homme à l’allure élégante : chapeau, bottes et manteau
de drap sombre bien coupé, tel un monsieur
étranger.
La femme paraît jeune, elle a jeté rapidement
un châle sur ses épaules avant de sortir. Ses jupons superposés se balancent au
rythme de sa démarche vive.
Elle semble fatiguée, mais elle avance
d’un pas décidé avec ses souliers fins; pas trop vite pourtant, car elle est
chargée. Elle ne s’arrête pas pour « faire
charrette » avec les
commères qui la saluent : « Bonsoir,
Françoise ». Elle
travaille, ce n’est pas une bavarde, elle préfère rester discrète.
Je ne peux la laisser me dépasser
sans l’interpeller. C’est Françoise Gaillardon, mon aïeule (sosa 857).
Comment l’aborder ? Ce serait trop confus de lui dire
ce qui me passe par la tête :
Chère Françoise, me reconnais-tu ? Je t’ai rencontré le 8 septembre 1710, dans ma maison... Enfin dans ton auberge… Tu as bien su gérer la situation compliquée ce jour-là. J’ai écrit toute cette histoire des « mulets du sel », regarde le premier des six épisodes de la série à lire ici : https://www.briqueloup.fr/2018/08/les-mulets-du-sel1.html
Elle ne s’attend pas à croiser mon
chemin, mais j’ai trop envie d’entrer dans son époque, je m’insère prudemment
dans son trajet, et je me présente doucement à cette aïeule. Elle m’adresse un
sourire avec un peu d’étonnement.
Je suis frappée par son air déterminé
indiquant une jeune femme pressée. Je regarde le réchaud de braise qu’elle transporte
avec précaution.
Il n’est pas aisé de porter cette bassinoire en cuivre puisqu'elle est remplie de braises chaudes. Elle sera bien utile pour réchauffer un lit. Mais où allez-vous ?
Je peux l'accompagner, mais elle me dit qu'elle ne doit pas s’attarder,
pour ensuite vite rentrer à l’auberge, car elle a tant à faire dans sa maison.
Les voyageurs ont terminé de manger la soupe et c’est l’heure de tout
débarrasser. Joseph Audibert, son mari sert encore quelques verres, mais la
servante est débordée, c’est beaucoup de travail en fin de journée. Sans compter
que son petit Joseph âgé de deux ans demande sa maman avant de s’endormir.
Elle a épousé Joseph Audibert il y a
trois ans. Depuis la mort de son beau-père Jacques, six mois auparavant, elle
est vraiment devenue la maîtresse de l’auberge. C’est elle qui organise et
donne des ordres pour que la maison tourne bien.
Beaucoup de voyageurs dorment à l’étage.
Tous les lits sont occupés ce soir. Elle a demandé à Catherine Arnaud qui possède
une bonne chambre d’accueillir le sieur Pellissier qu’elle ne peut loger. L’homme
qui marche avec nous soulève alors son chapeau pour me saluer.
Il m’explique qu’il est venu pour vacquer en la procédure et sentence par lui faite au procès criminel...
Il n’a pas le temps de m’en dire
davantage, car il est interrompu par deux hommes qui parlent en riant fort.
Voilà le notaire, maître Jean Bon est accompagné de Louis Ricard…
Ils sortent du Cercle de l’amitié,
le vin les a échauffés. Françoise les salue poliment, marquant le respect dû à
leur fonction.
Ils engagent la conversation avec
l’étranger.
« Comment s’est passé le jour d’hui, Messire Pellissier ? Est-ce que l’enquête avance ?
Nous aurions pu boire un verre chez
votre hôte. J’ai vu que Joseph a fait rentrer du vin dans sa cave. Il sait bien
le choisir. Nous pourrions le goûter ensemble.
Maitre Pellissier répond qu’il se
fait tard et qu’il va se coucher.
«On vous souhaite une bonne nuit alors !»
Nous entrons dans la maison de Catherine Arnaud que je ne connais pas. C’est une demoiselle bien mise, elle est vêtue d’une robe en laine bleue. Ses cheveux sont couverts d’une coiffe.
Sa fille aînée Marguerite a 25 ans,
elle est née la même année que Françoise qui demande de ses nouvelles.
Catherine a rangé et nettoyé sa
maison pour accueillir le visiteur.
Françoise lui donne une chandelle
comme elle l’a promis, elle va dans la chambre réservée à leur voyageur, elle
s’assure que le lit soit convenablement arrangé, elle tapote les oreillers,
elle bassine pour réchauffer les draps, elle place les couvertes de laine. Elle
sait remplir son rôle d’hôtesse mieux que Catherine qui cependant lui rend un
grand service en louant la chambre.
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Image générée par ChatGPT avec mes indications |
Je remarque son air fatigué, elle
prend congé de Catherine et de son hôte. Il lui tarde de rentrer chez elle.
Sur le chemin du retour, Françoise se
montre un peu plus bavarde, elle explique que le sieur Pellissier paye bien
pour ses repas pris à l’auberge. Pour son cheval, pas de souci, hébergé dans
notre écurie, on prend soin de le bouchonner et de lui donner de la nourriture.
L’avocat détient une importante
responsabilité dans le procès en cours, il doit séjourner plusieurs jours dans
le village ; il est
préférable qu’il dorme tranquillement dans une bonne chambre au calme.
Elle a demandé à Catherine de lui préparer
un lit dans sa maison, ce qu’elle lui accorda et chaque soir, elle doit l’accompagner
ainsi avec chandelle et bassinoire. Catherine est veuve d’Elzear Boyer,
quelques pièces d’argent sont appréciables dans sa bourse.
Je voudrais savoir si Madeleine Boyer, la grand-mère de Joseph est de la famille d’Elzear. Mais nous arrivons sur le seuil de la maison et Françoise n’a pas le temps de me répondre. Pendant que je fais tourner la clé dans la serrure, sa présence s’est effacée. Je rentre chez moi, je m’aperçois que je tiens encore la petite lanterne dont la chandelle s’est éteinte.
Ce
billet est né dans mon imagination, étayé par les informations que je possède
sur Françoise et son auberge. L’idée a pris forme en découvrant un acte
étonnant déniché lors d’une visite aux archives à Draguignan le mois dernier.
Ces détails m’ont inspiré le texte et j'ai brodé autour comme un rendez-vous ancestral.
Il
faudra que j’élucide l’enquête sur ce procès criminel, les recherches risquent
d’être difficiles, je ne sais pas ce que les Archives du Var conservent au
sujet de cette affaire.
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