Cher Henri Camille,
Écrire cette lettre m’intimide quelque
peu, j’espère que vous aurez l’obligeance de me pardonner de vous avoir
réveillé, vous qui dormez depuis plus de deux siècles.
Je voudrais vous remercier de
tout ce que vous avez fait pour nous, vos descendants ; je sais que nous vous
devons beaucoup. Hélas ! Très peu d’entre eux connaissent votre identité ; au
reste, les rares cousins qui ont entendu parler de vous ne se permettent pas de
dire que vous pourriez figurer dans notre arbre généalogique.
Pour ma part, je n’ai aucun
doute, car tous les indices témoignent en votre faveur.
Il y a trois de vos petits-enfants
qui sont en mesure de penser à vous. Ce sont les miens (leur père est votre descendant
à la 8e génération), ils vivent à des années-lumière de votre époque. Nous
cherchons ensemble ce qu’il reste des traces de votre existence. Rassurez-vous,
nous en avons retrouvé plusieurs. Le palais du Louvre qui vous est familier est
maintenant un musée, un lieu où le peuple peut admirer les collections de
peinture, des tableaux comme ceux de votre ami Jean-Baptiste Oudry. Cet
établissement conserve même une toile qui vous a appartenu « Les plaisirs du bain » par Nicolas Lancret. Elle a été vendue en juillet 1770, cinq mois après
votre décès, son pendant « Repas de chasse » a été perdu. Vous passiez pour un amateur
de chasse et collectionneur d’art, mais accablé de dettes.
Henri Camille de Beringhen, par J.B. Oudry, 1722,
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Pourtant quelle générosité, quel souci de transmission de bon père, vous avez montré à l’égard de votre fille unique, Sophie !
Je crois que vous avez dû aimer
sa mère, La Belle Bouquetière, plus
qu’aucune autre. Je sais d’ailleurs que la marquise, votre femme, l’avait prise
sous sa protection. Sûrement, cela devait arranger vos rencontres, si elle
vivait rue Saint-Nicaise. Vous possédiez là un hôtel particulier. Catherine
Julie demeurait proche de vous, peut-être même dans votre maison. C’est à cette
adresse qu’est née Sophie, le 3 janvier 1758.
Sa mère lui a donné votre prénom, ajouté
au sien : Sophie Henriette. Cela m’apparaît comme une preuve de sa
tendresse pour vous.
Le mari de Catherine Julie a
reconnu l’enfant qu’il a élevée comme le sien. C’était sans doute son intérêt,
puisque Jean Gabriel était contrôleur des Petites Écuries du Roi et que vous
étiez son supérieur hiérarchique.
En tout cas, il a reçu un superbe
cadeau, en gage de votre reconnaissance, pour avoir élevé votre fille comme si
elle avait été la sienne. Je veux parler du domaine de Cormatin.
Certains prétendent que vous
n’étiez qu’un vendeur ordinaire et lui l’acheteur honnête. Comment tenir cette
version pour satisfaisante ? Ne cacherait-elle pas un bel héritage que vous
vouliez transmettre à la petite Sophie ? Vous l’avez vue grandir, elle avait
douze ans lorsque vous êtes mort en février 1770. Je me demande si elle s’est
consolée de la perte d’un protecteur comme vous. Vous avez, sans doute, stipulé
à Jean Gabriel que c’est à sa fille que le château et le domaine devaient
appartenir.
Au décès de JG en 1783, Sophie
est devenue propriétaire de la seigneurie d’Huxelles.
Vive et piquante, ses yeux noirs ajoutaient
à son charme, elle avait vingt-cinq ans, elle était veuve depuis peu de temps.
Elle s’est empressée de vendre le
château de Sercy que possédait Antoine, feu son mari, pour s’installer chez
elle, à Cormatin, avec ses trois enfants et son nouvel époux, Pierre Marie Félicité.
Ils profitèrent des moments de bonheur, de magnifiques fêtes furent organisées,
ensuite des époques plus tristes, de discorde et de faillite. Ainsi va la vie...
Voici les dernières nouvelles,
les connaissiez-vous ?
Si vous voulez que nous
continuions à échanger, je serais ravie d’entretenir une correspondance avec
vous et de vous envoyer des portraits de vos descendants.
Bien à vous,
MB
Ps. Cher Monsieur, si vous supposez
ne pas être notre aïeul, veuillez ne pas me tenir rigueur des privautés que je
me suis permises en vous adressant cette lettre.
Soyez assuré que vous avez toute
mon estime, car je vous sais gré de nous faire rêver avec votre forêt
généalogique que je continue d’explorer.
Une très belle lettre tout en respect et retenue …
RépondreSupprimerBelle idée que ce courrier pour chuchoter les impressions de certains, et je comprends que Sophie se soit installée dans le magnifique cadre de Cormatin.
RépondreSupprimerQuelle belle lettre ! Bravo
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