2020-10-10

Un curieux baptême, en juin 1895

 

Les voisins de Paul Blanc se tiennent aux aguets, car dans notre église à Saint-Julien va être baptisé l’enfant qui est né chez lui le 5 juin 1895.


A l'occasion du baptême, l'artiste a invité le peintre et poète Valère Bernard; il a choisi cet ami pour être le parrain du petit garçon qui sera prénommé Valère. Ecoutez le récit que fait le poète[1] (ses mots sont en italique).  

Le crépuscule est tombé lorsque la carriole arrive. Le sieur Bernard se montre impressionné par la route entre les collines couvertes de chênes. Le chemin grimpe pour monter jusqu’à notre village perché. Ce n’était sûrement pas une nuit de pleine lune, et bien que les soirées de juin paraissent fort agréables, il donne une description peu flatteuse de celle-ci : le souvenir de ce voyage m’est resté comme un cauchemar. Sans doute demeurait-il fâché que Paul soit arrivé en retard au rendez-vous à Vinon.

L’aspect sombre des choses et des gens n’incite pas à se réjouir de la fête qui devrait être donnée à l’occasion du baptême.

Tout de suite la cérémonie à l’église, hâtive, à la lueur d’un cierge. Les villageois curieux, et parmi eux, mes ancêtres Éléonore et Pierre Angelvin ont dû se presser pour assister à cet étrange accueil du nouveau-né. Tous devaient être contrariés d’avoir attendu jusqu’à la nuit pour ne pas manquer cet événement.

Le parrain qui avait fait le voyage depuis Marseille pouvait avoir grand-faim... 

Puis ce souper dans cette cuisine noire où sont invités l’accoucheuse silencieuse (peut-être est-elle la marraine ?) ainsi que deux ou trois paysans encore plus silencieux. Rosalie avait préparé de son mieux le repas, sa femme, bonne, douce, petite, effacée, déjetée. Déjetée n’amène pas de lumière sur cette épouse dévouée, cet adjectif signifie courbée sous le poids du malheur. Paul Blanc s’exaltant, se dressant pour mieux gesticuler, renversant les chaises ; et les ombres lourdes qui nous entouraient ; et une gêne qui ne faisait que croître par le mutisme obstiné des autres.


Paul Blanc _ Sournoiserie

Il est possible que Valère soigne son style et exagère, mais il décrit une réalité bien sombre dans cette assemblée ce soir-là. On aimerait bien connaître le témoignage de la foule au-dehors, massée devant la maison, et savoir si Éléonore et Pierre se trouvaient dans la grand’rue ou discrètement rentrés chez eux. Mes triaieuls sont de la même génération que Paul Blanc âgé de 58 ans. Éléonore Fave a 61 ans et Pierre Angelvin a encore un été à vivre puisqu’il va mourir en septembre, cinq jours avant d’atteindre l’âge de 64 ans.

Tout cela était mystérieux, étrange.

Le parrain oublie de parler de l’enfant ; sachez toutefois que Valère Blanc a rendu en 1939 un bel hommage à son artiste de père en publiant le catalogue de ses œuvres[2].

Éléonore, mon aïeule a certainement dû questionner son cousin Edmond Philibert ainsi qu’Achille Berne, le neveu de son oncle. Les deux voisins furent les témoins le jour de la déclaration de Paul Blanc. D'après lui, cet enfant serait donc né dans sa maison, de père inconnu et de mère inconnue !

Nous savons qu’il hébergeait souvent des mendiants et des mendiantes ; l’une d’elles aurait-elle accouché chez lui ?

Paul Blanc _ Consolation


J’ai cherché l’acte de naissance de l’enfant né le vendredi 5 juin, à deux heures du soir, déclaré le lundi 8 juin 1895 à Saint-Julien. Il est particulièrement étonnant !


Comment expliquer toutes ces coïncidences ?

Dans cet acte, le petit garçon se prénomme Grégoire, comme le père de Paul Blanc. Son patronyme Blénac est presque l’anagramme de Blanc. 

Valère Blanc sera identifié sous le nom de Grégoire Blénac sur son matricule militaire[3].

Coup de théatre avec la mention marginale :

Paul et Rosalie ont reconnu pour leur fils naturel l’enfant faisant l’objet de l’acte de naissance.

J’ai un doute sur la date (est-ce un an ou quelques jours plus tard ?) si vous pouvez m’aider à lire 1895 ou 1896, votre avis est appréciable.


Pour mieux comprendre l'artiste Paul Blanc, peintre graveur :

voir sur Wikipédia, l’article que j’ai créé


Déjà dans l'article précédent, on comprend que Paul Blanc est un voisin original  !

Mais, Rosalie Mothère est-elle la mère ?


[1] Article de Valère Bernard, Fortunio n°37, du 15 août 1923.

[2] Classe 1915, registre 1R914, n° matricule 194


[3]  Valère Blanc, catalogue de l’œuvre gravé de Paul Blanc, 1939

7 commentaires:

  1. Effectivement, un peu étrange tout ça! Je lis 1896 comme date de la reconnaissance. Faudrait voir l'âge de Rosalie, si elle était encore en capacité d'avoir un bébé.... Nos aïeux nous laissent bien souvent sur notre faim!

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  2. J'aime beaucoup ton texte, tout en poésie. Concernant la date, je lis plutôt 1895 (le 5 est plus net sur la première ligne)

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  3. Rosalie Mothère était beaucoup plus jeune que Paul. Elle avait 24 ans en 1888, à la naissance de leur premier enfant qui a pour prénoms : Pierre Marie Grégoire. Ce qui lui donne 32 ans alors que Paul a 58 ans en 1895. Je précise que ce sont des voisins dans le village de mes ancêtres.

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  4. Je n'ai pas tout saisi : pourquoi ne pas avoir reconnu cet enfant à la naissance alors qu'ils en avaient déjà un ? Et pour la date, je rejoins Sébastien : je trouve que le 5 de la première ligne est proche de celui de la dernière...

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  5. Pour moi ,ce n'est pas leur enfant mais l'enfant né sous X d'une demoiselle pitetre BLENAC venue faire ses couches "clandestines" chez les Blanc ,et avec complicité générale notaire témoin acte naissance- l'enfant n'est pas adopté mais reconnu par le couple --baptême bien avancé dans la soirée ....curieuse ambiance -----déjetée peut vouloir dire aussi "bancale "---merci Briqueloup de nous intriguer autant....Michèle VIN-MERCIER

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    1. Je suis quasiment sûre que Paul et Rosalie sont les parents. Je suis en train d'écrire la suite de cette série sur Paul Blanc. Le groupe m'a bien aidé à chercher des pistes, merci Michèle pour le partage !

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  6. Étrange atmosphère décrite par le parrain poète

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