Tant d’heures passées à lire toutes les
lettres de Marie, envoyée à André entre 1914-1918, m’ont permis d’entrer dans
l’intimité de cette jeune femme de 26 ans et de mieux comprendre la vie
quotidienne à Lyon en 1914-18.
Je fais la présentation de cette
correspondance aux Archives de Lyon ce mois-ci, à l’occasion de la semaine de
la généalogie.
Pour ce #RDVAncestral, je vais
rendre visite à Marie, le 20 octobre 1915.
Je pousse la porte d’allée de
l’immeuble*où elle habite rue Sainte-Hélène.
Oh justement, la voilà qui
descend l’escalier avec ses deux enfants, Jean et la petite Anne qui a fait ses premiers pas quelques semaines auparavant.
Elle me propose de l’accompagner
dans sa sortie. « Il faut que les enfants prennent l’air ».
Tous les jours entre 14h et 16h,
lorsque le temps est clément, la jeune femme se montre Place Bellecour pour la
promenade des enfants. Elle retrouve quelques connaissances, c’est l’occasion
d’échanger des nouvelles de leurs hommes qui sont partis à la Grande Guerre.
Marie m'amène voir les canons pris aux Allemands qui sont exposés comme des trophées de guerre.
Du haut de ses trois ans, Jean est
fier de raconter que son papa s’occupe des blessés dans son ambulance. Nous
croisons ceux qui séjournent à Lyon, des poilus en uniforme les bras en
écharpe, d'autres marchant avec des béquilles, des mutilés, des gueules cassées. Les
Lyonnais sont habitués à les voir, ils sont arrivés si nombreux dans les
hôpitaux.
Mais puisque le « gros petit
Jean » est impatient de jouer dans le sable avec son seau et sa pelle, nous
nous installons sur un banc auprès de Tanmy, la tante d’André qui se fait une
joie de rejoindre sa nièce et les enfants.
Je reconnais la jeune femme qui
vient saluer Marie, c’est Thérèse, l’épouse de Fabien A. dont je vous parle
dans mes articles que vous pouvez lire dans les pages précédentes. Elles habitent dans le même quartier. Thérèse est
grosse de son deuxième enfant.
« Je ne sais plus que faire
à manger à nos pauvres très petits, c’est une misère pour avoir une quantité
suffisante d’un lait quelconque et les œufs qu’on paye 4 et 5 sous pièce sont
très souvent de vraies saletés. » dit Marie. Elle se plaint surtout de la difficulté à s’approvisionner en lait. « Il n’y a plus ni automobiles, ni chevaux on ne trouve plus de laitière de campagne.»
Je ne peux pas leur expliquer, à
ces jeunes mamans dont la vie devient si difficile, que cent ans plus tard, on achète facilement le
lait stérilisé, conditionné en briques qui se conservent très longtemps.
A notre époque, nous avons oublié qu’autrefois le lait était livré tous les
jours en ville et qu’il fallait le faire bouillir avec précaution pour le
conserver un peu.
Thérèse qui a une bonne laitière, propose « d’en fournir la quantité nécessaire à Marie à condition d’envoyer tous
les matins Joséphine, avec une berthe, chercher le lait chez elle.»
Toute heureuse de cette
opportunité, Marie remercie vivement la lointaine cousine de son mari.
Cependant dès qu’elle a tourné
les talons, Marie me confie sans méchanceté :
« Thérèse Arcelin a une
énormité de fille, élevée complètement au biberon, mais je ne l’échangerais pas
contre la mienne au point de vue beauté ! »
Bien que je l’ai connue âgée, je
peux témoigner que la petite Élisabeth deviendra une belle femme.
Il m’est impossible d’avouer à
Marie que sa petite Anne sera emportée par la grippe espagnole avant d’avoir 12
ans.
Elle ajoute avec une pointe de
jalousie:
« Encore une qui ne
s’aperçoit que bien peu de la guerre, son mari est pacifiquement à Lyon. »
Alors là, je dois expliquer qu’il
travaille à réparer des blessés touchés par des éclats d’obus et qu’il sauve
des vies dans son service de radiologie de l’hôpital militaire, ce docteur
Arcelin, qui d’ailleurs intimide tant Marie Leclerc.
Le jeune femme est maintenant pressée de
rentrer chez elle pour écrire sa lettre quotidienne à André.