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2024-03-30

Un portefeuille plein de douceur, de nostalgie et de mystère

 

Une archive insolite, un trésor… Décidément, le fonds d’archives que j’étudie révèle des surprises.

Dans le billet précédent, j’étais touchée par la tendresse émanant des lettres de Pierre Antoine Barou adressées à son épouse Jeanne Marie Durand.

Je suis retournée aux Archives du Rhône pour continuer d’explorer de nouveaux dossiers.

Dans les papiers personnels de Jeanne Marie Durand de Châtillon, se trouvent divers documents qui me permettent de donner vie à cette femme. Ce sont des lettres, son journal et ses réflexions intimes. Ce sont aussi ses notes en souvenir de son époux, qu’elle rédige fidèlement pour les anniversaires de sa mort. Il a été guillotiné à Lyon en décembre 1793 et elle reste seule, inconsolable d’avoir perdu l’amour de sa vie.


Au milieu de tous ces papiers un petit objet m’interpelle et m’émeut. J’ai failli le montrer aux archivistes de la salle de lecture, je n’ai pas osé, telle une relique le respect imposait le silence, j’ai préféré le photographier, les yeux embués par l’émotion.




Voici un portefeuille en soie, confectionné il y a plus de deux siècles, il a eu la chance d’être emprisonné dans le carton d’archives, je le libère pour quelques minutes. Il tient dans ma main, je l’admire tel un trésor inattendu. Le satin de soie caramel prend la lumière, je peux le caresser du bout des doigts, toucher sa douceur, sentir l’odeur des vieux papiers au milieu desquels il demeure enserré. C’est intimidant, je me demande ce que dirait Jeanne Marie si ses yeux bleus pouvaient voir ce souvenir dans mes mains. J’aimerais bien qu’il me parle d’elle. 

Madame Barou passe pour une femme de goût, cultivée. Pierre Antoine en témoigne : « Tes excellentes qualités m’engageraient toujours à te choisir parmi toutes les femmes ».


L’inventaire de ses vêtements (elle a gardé les comptes de la blanchisserie) détaille quantité de robes, de jupons, de rubans, des souliers… Son mari la conseille sur la mode de Paris ; il lui explique les tendances, en se renseignant auprès des jolies femmes parisiennes.


Cette petite pochette caractéristique de la fin du XVIIIe apparaît cependant assez simple. Elle devait en posséder d’autres ayant plus de prix. Mais c’est celle-ci qui a traversé les siècles.

Elle appartient à une dame élégante, mais qui sait rester discrète.

Confectionnée en soie, cela s’impose à Lyon ! Le taffetas est matelassé, piqué d’un fil de coton marron glacé.

Un galon de croquet serpentine tout autour des bordures et de chacun des deux rabats. L’intérieur couleur crème met en valeur les petits points du fil marron.



Je la tourne, je la retourne cette délicate pochette. Elle se compose de deux compartiments qui se rabattent comme un portefeuille. Je ne sais comment il convient de la plier vers l’intérieur, ou vers l’extérieur. Je ne connais pas les manières raffinées de madame.

Utilisée par une femme soigneuse, qui la manipulait avec douceur, elle est restée en très bon état comme un objet auquel on tient. De légères traces d’usure visibles apparaissent sur les boucles en pointes du galon et en bordure de la pliure centrale.

Un petit accroc témoigne de son utilisation. Aurait-elle été déchirée par la griffe enchâssant une pierre précieuse sur une bague ? Jeanne Marie dont l’époux est accusé d’être contre-révolutionnaire s’est vu confisquer ses bijoux. Elle n’a pas retrouvé tous ceux qu’elle a cachés, beaucoup de ses biens ont été volés à l’époque de la Terreur qui a sévi à Lyon.

 



Intriguée, j’entrouvre les poches, espérant y trouver un billet minuscule adressé à Madame Barou, une petite lettre pliée comme celle-ci. 



Le portefeuille reste vide désormais. Il ne porte ni secret ni billet tendre. S’il a été conservé, c’est qu’il devait être chargé de sens pour Jeanne Marie et aussi pour ses héritiers qui ne l’ont pas dissocié des « papiers de l’écritoire ».


Une archive insolite est le sujet du Généathème, ce billet fait suite à celui du mois dernier :

De la tendresse dans les archives




2023-03-04

Un négociant en toiles

 

Lorsque je passe dans la rue Grenette, je m’arrête devant son magasin, et je prends le temps de réveiller Pierre Chartron, (sosa 88), négociant en toiles à Lyon.




Sur cette StoryMap, j'ai retracé les lieux où il a habité (1795-1874).


Pierre Chartron est le petit-fils d'un maître fabriquant en étoffes de soye, son père était apprêteur de gazes à Lyon, avant d’aller s’installer à Villemoirieu où Pierre est né en 1795. Je m’interroge sur ce lieu inattendu où il a vécu durant quelques années. Il se pourrait qu’il ait souhaité s’éloigner de Lyon, préférant se retirer comme agriculteur en Isère, plutôt que de rester pris dans la tourmente révolutionnaire. Sa belle-famille a souffert de la Terreur. Son beau-père Gaspard Margaron a été guillotiné, ses beaux-frères ont émigré en Suisse. François Lupin, celui qui est resté à Lyon a été fusillé. 

Pierre est l’aîné; lorsque son père déclare la naissance de sa petite sœur Marguerite Élisabeth en 1792, il est connu comme agent municipal à Villemoirieu. Il était agriculteur trois ans auparavant.

Pierre va étudier le droit à Grenoble. Il travaille ensuite à Lyon, il s’est rapproché de ses oncles et tantes : deux frères qui ont épousé deux sœurs. En se mariant avec sa cousine, il resserre encore le réseau familial rempli d'implexes et de mariages intrafamiliaux unissant les Margaron et les Chartron.



En 1819, Pierre a 24 ans, leurs noces qui viennent d’être célébrées le 8 mai le rendent heureux. Marie Jacques, il préfère l’appeler Jacqueline ou plus tendrement Zélie (source recensement 1838). Il va bien s’entendre avec cette cousine. À dix-huit ans, elle est devenue une belle jeune femme. C’est à elle qu’il pense, alors qu’il descend d’un pas allègre depuis les pentes de la Croix-Rousse vers la Presqu’île.

Actuellement rue René Leynaud _  Wikipédia


Ils habitent dans l’immeuble de son beau-père et oncle, au numéro 33 rue de la Vieille-Monnaie dans le quartier de Croix-Pâquet. Il se rend au magasin de tissus du n°6 rue Basse-Grenette, celui qui porte l’enseigne de la maison Laporte, Falque et Chartron.

 


Il s’est associé avec ces négociants qui font fabriquer leurs commandes par les ouvriers que l’on n’appelle pas encore les canuts.


Spécialisés dans la rouennerie, en gros et demi gros, ils vendent des toiles de laine ou de coton imprimées. Leur magasin regorge de couleurs : rose, violet, rouge  dont les dessins ou les reliefs résultent de la disposition des fils teints avant le tissage; ces tons chaleureux dominent sur les étoffes rayées ou à carreaux selon la mode de Rouen. Ils proposent aussi un joli choix d’indiennes qui plaisent à la clientèle…


Mouchoirs de Rouen


Ils vendent des mouchoirs. Mais Pierre n’a pas encore de raison de pleurer, les affaires sont prospères et Jacqueline va lui donner sept enfants. L’aînée Marie Anne Pierrette pointe son petit nez l’année qui suit leur mariage, puis voilà André en 1822.

En 1824, avec un petit Jacques de quelques semaines, ils vont habiter au 3e étage au-dessus du magasin.



La famille s’agrandit en accueillant un nouveau-né chaque année : Casimir en 1828, Marie Célestine Pétronille en 1829, Marguerite Clotilde en 1830. Les filles meurent en bas âge, les garçons sont plus solides. L’année 1838 est douloureuse, Marie Élisabeth Philomène nait le 16 janvier, hélas sa mère décède le 10 mars. La nouvelle-née ne survivra pas à ce drame, elle est mise en nourrice à Villeurbanne et s’éteint le dernier jour du mois. Pierre achète pour sa femme une concession dans le nouveau cimetière de Loyasse. Je connais bien cette tombe où repose la famille.  


Pierre va poursuivre de longues années de veuvage, Jacqueline n’a vécu que 37 ans, Pierre a 79 ans lorsqu’il la rejoint.

Il ne s’est pas remarié, il a élevé ses garçons qui sont allés en pension, il leur a conseillé d’étudier le droit comme lui. André et Jacques sont avoués. Casimir, son préféré, travaille avec lui. En 1854, ils s’associent : Laporte et Chartron père et fils.

Son associé, Claude Laporte a sept ans de plus que lui, c’est appréciable de l’avoir comme voisin ; la famille Laporte habite au 2e étage avec deux employées qui sont «demoiselles de magasin». Il est ami avec le curé d’Ars que Pierre doit avoir l’occasion de rencontrer chez lui. N’a-t-il pas donné à sa dernière fille le prénom de Philomène, mis à la mode par celui-ci.

En bon bourgeois lyonnais, Pierre assume diverses responsabilités : trésorier de la fabrique de la paroisse de Saint-Nizier, administrateur de l’hospice de Saint-Alban, de 1842 à 1847 et de 1849 à 1867; il est le président du conseil d’administration du dispensaire général.

17 rue Neuve

Il va vivre jusqu’à l’âge de 79 ans. Il est proche de son fils Casimir, (sosa 44), le seul de ses enfants qu’il n’a pas enterré. Il habite alors au n°17 rue Neuve, avec un valet de chambre et une cuisinière.

Le 29 novembre 1874, Pierre va rejoindre les siens qu’il avait accompagnés au cimetière de Loyasse.

Une cousine prénommée Jacqueline dont Jacqueline est la trisaïeule vient de décéder l’an dernier. Je viens juste de relire une phrase qu’elle m’avait confiée « Qui s’occupera de cette tombe ? »


2022-11-12

K_ Carte postale

 La grande boucle 

ou le trajet d’une carte postale centenaire



Le #Geneathème me donne l’occasion de remettre à l'honneur cette carte postale
et d’essayer de comprendre la grande boucle qu’elle a parcourue depuis 1915.




Elle m’a été envoyée par une très vieille et lointaine cousine qui est décédée il y a deux ans. 
Ces mots tracés de sa main l’accompagnaient.

« Quelle coïncidence ! … Nos pensées se rejoignent puisque j’allais vous écrire et vous envoyer cette carte postale trouvée au fond d’un tiroir et qui doit représenter votre quartier… D’après l’écrit, elle est centenaire et je suppose qu’elle était destinée à une connaissance de pays ou de l’armée à cette époque. »

Il se trouve que le paysage de Lyon m’est familier. Il a très peu changé depuis cent ans et l’on peut reconnaître chaque immeuble le long du quai de Saône. La photo a été prise depuis le pont de Serin. Le trafic des bateaux sur la Saône était plus important, l’un est arrêté sur le port de la Chana, deux autres remontent la rivière. La colline de Fourvière est restée aussi verte que sur cette vue colorisée.

Qui a envoyé cette carte ?
Nous ne le savons pas, le scripteur n’a pas signé.
La date est mentionnée « le 9/12/1915 à St-Genis-Laval »,
mais peut-être ce soldat l’a envoyée plus tard, alors qu’il était déjà loin de Lyon.
« Je suis parti au front » dit-il plus loin, ajoutant qu’il veut visiter Troyes : « Dimanche 12 décembre je pense allé à trois [sic] »

A qui était-elle destinée ?
Il s’adresse à un « Cher Ami » et termine par cette formule :
« En attendant de tes nouvelles reçois cher Ami une cordiale poignée de mains »
Le A majuscule témoigne d’une grande amitié entre ces deux hommes. C’est remarquable, car il omet d’en mettre aux noms de villes.

Vers quoi court-elle cette écriture fine et légère ?

Cette carte postale a été mise sous enveloppe qui n’a hélas pas été jugée digne d’être conservée, elle aurait indiqué le nom du destinataire.
Comme la plupart des soldats au front, le scripteur n’avait pas d’encre, il a utilisé un crayon papier léger. Il a rempli d’une écriture fine et serré les deux colonnes de la carte sans laisser de marges, il a ensuite utilisé l’espace au-dessus pour les salutations.
Les barres des T rayent, griffent et s’envolent vers le haut.

J’ai dit hâtivement que l’auteur n’avait pas signé, mais en lisant attentivement l’avant-dernière ligne, celle qui est placée tout en haut de la carte, on découvre : ton copain Auguste Roux (?) (copaïs = "connaissance du pays" ?) La signature se glisse dans le corps du texte.


clic pour agrandir, si vous voulez m'aider à mieux lire...






Cher Ami.
J’ai reçu avec plaisir de tes nouvelles il y a deux ou trois jours. Je vois que tu ait toujours en très bonne santé. Seulement sur ta carte tu ne me dis pas si tu as reçu la carte que je t’ais envoye de lyon. Je vais t’annoncer que je ne suis plus à Lyon. Je suis parti au front car il y a un auxilliaire qui m’as remplacé pour travailler. Enfin je fais la manœuvre
Nous ne sommes pas très mal, d’ailleurs il ne fais pas froid encore. Dimanche 12 décembre je pense allé à trois alors j’en profiterai pour allé voir Mr(?) Sapet. As-tu tes reçu de ces nouvelles ainsi que celle de Lieffait.
Tu m’écriras dès que tu auras reçu ma carte car ? ta carte datée du 18 novembre.
En attendant de tes nouvelles reçois cher Ami une cordiale poignée de mains. ton copain Auguste Roux 
Envoie moi une vue du pays où tu est, si tu trouves



J’ai fait de mon mieux pour comprendre le sens de ce message, sans garantir des erreurs d’interprétation. Si les lecteurs de ce billet veulent faire des suggestions, cela m’intéresse.  


Que nous apprend cette lettre ?
Peu de choses finalement. Pour l’heure, les hommes sont tous deux en bonne santé. Ce qui est rassurant !
Comme souvent dans les correspondances, et plus encore en temps de guerre lorsque l’acheminement des courriers est fluctuant, les sujets majeurs sont la demande de nouvelles, la réception et l’envoi des cartes. Ce qui peut apparaître décevant au lecteur contemporain faisait partie des usages et des demandes dans les missives de cette époque. C’est l’échange basique que l’on connait : ça va ? t’es où ? écris-moi !

Est-il mort à la Grande Guerre ?
Dans la liste des Morts pour la France, j’ai cherché, tout en souhaitant ne pas le trouver, cet Auguste Roux. Il y a 42 homonymes, aucun n’est natif de l’Ardèche. Ma cousine ardéchoise suppose que c’était une « connaissance du pays » d’un parent de sa famille.
Alors, ce poilu ne serait pas mort au combat ?

100 ans plus tard, le voyage de la carte

Il serait bien étonné, Auguste, si je lui disais que cette carte postale est finalement arrivée justement à l’endroit où la photo a été prise.
Peut-être, ce soldat l’a-t-il achetée lors d’une permission à Lyon où il serait monté à Fourvière. On sait qu’il souhaite précisément des vues des endroits traversés. Il a commencé à écrire à St-Genis-Laval où devait se trouver sa garnison. Puis, la carte est restée dans son sac jusqu’aux environs de Troyes. Elle a été expédiée dans un village de l’Ardèche, peut-être Pailharès, ou Saint-Barthélemy le Plain…
Pourquoi a-t-elle été conservée si longtemps ?
L’ami était cher, le soldat a dû lui envoyer plusieurs cartes postales, et puisque celle-ci est particulièrement belle, on l'a gardée …

Marguerite l’ayant trouvée dans son grenier a su en prendre soin ; elle a eu la gentillesse de me l’envoyer. Mille fois, cette carte aurait pu être perdue. Elle devient encore plus précieuse à mes yeux depuis que Marguerite nous a quittés. 

2022-04-15

L’invitation



Ne seriez-vous pas séduit par un homme nommé Espérance ? 

Ou plus précisément : Jean Espérance Blandine Comte de Laurencin.

Imaginons le plaisir de recevoir cette invitation amicale :

puisque vous devez Monsieur, me procurer le plaisir de vous voir demain, je vous prie de le rendre complet en m’accordant la faveur de dîner avec nous.

agréez mes tendres et fraternelles salutations.

espérance Laurencin

Lyon 9 mars 95



En Lyonnais, si l’on est invité à dîner, il est d'usage de se présenter vers midi au domicile de notre hôte ; s’il avait voulu nous recevoir le soir, il aurait précisé : pour le souper.

Nous avons rencontré le comte de Laurencin, à Lyon, à l’occasion de deux événements qu’il a organisés et financés. Le 19 janvier 1784, il s’est envolé dans la montgolfière Le Flesselles et le 4 juin 1784, il a laissé sa place à Élisabeth Tible, dans le ballon Le Gustave. J’aimerais qu’il me donne des nouvelles de la mystérieuse Élisabeth dont j’ai glané quelques traces (je pourrais encore compléter son article Wikipédia).



Pour retrouver cet aéronaute, je vais me transporter à la fin du XVIIIe siècle et penser très fort à un ballon qui pourrait m’emmener pour honorer cette invitation. Bon d’accord, elle est adressée l’aïeul d’un lointain cousin qui m’a confié ses archives. Je saurais bien expliquer à Jean Guerre combien je me sens proche de lui puisque j’ai étudié son dossier et nous parlerions de connaissance communes.


Le vent printanier nous pousse vers le château de Machy où j'imagine que la famille Laurencin réside encore. Le ballon, construit sous la direction d’Espérance, tient le coup. Durant ce voyage, j’ai le temps de penser à tout ce que je voudrais leur dire.


Il semble, que ce 10 mars 1795, la réception est prévue en comité réduit et se déroulera en toute simplicité, ce qui me met à l’aise. Je sais que le comte a entretenu des correspondances avec Jean Jacques Rousseau, d’Alembert et Voltaire, lorsqu’ils étaient vivants, j’aurais été ravie, mais sûrement très intimidée de les rencontrer.

J’aurais du plaisir à échanger avec madame la comtesse de Laurencin. Julie d’Assier de la Chassagne a composé beaucoup de poésies, certaines ont été primées et publiées dans l'Almanach des Muses. J’aimerais entendre ce qu’elle a écrit à son amie au sujet de l’allaitement maternel. Fier de sa renommée, son époux a lu à l’Académie de Lyon cette épître en vers sur l’obligation et les avantages qui doivent déterminer les mères à allaiter leurs enfants. Julie et Espérance ont eu six enfants. Ils forment un couple moderne au siècle des Lumières. Ils avaient décidé de faire inoculer leur fille âgée d’un an pour le protéger de la variole ? Quel chagrin ! Leur petite Catherine est morte.


 

Un peu brusquement, mais sans dommage,  je réussis à atterrir dans la propriété de Machy, je demande au concierge si la famille Laurencin habite toujours là. Il me répond que le château a été vendu à Antoine Morand, en 1792. Je suis déçue d'arriver à contre temps, mais je pourrais le saluer et lui dire que je l’ai croisé lors des fêtes de la montgolfière. J’ai aussi écrit un billet « en passant le pont Morand » où se révèle une alliance entre son petit-fils et une arrière-petite-fille de notre ancêtre.

Le gardien se renfrogne : Hélas ma pauvre dame, vous ne pourrez pas entrer, le château est mis sous séquestre depuis août 1793. On soupçonne Morand de s’être exilé pour échapper à la Révolution, son père a été guillotiné l’an passé.

Cela rafraîchit mon enthousiasme, je décide de rentrer à Lyon et d’aller du côté de la rue Laurencin, en espérant arriver à l’heure pour l'invitation (à moins que je ne renonce à jouer l’invitée surprise.)

Voir aussi :

Dans le ciel de Lyon

Une Lyonnaise dans les airs

Sources : articles Laurencin in

Dictionnaire de l’Académie de Lyon, 

Dictionnaire Historique de Lyon, 

https://www.briqueloup.fr/2021/02/de-gros-dictionnaires.html

Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes. Lire sur Gallica.

et les articles Wikipédia que j’ai créés ou améliorés :


2022-03-26

Une Lyonnaise dans les airs

 

Vous avez été nombreux à lire "Dans le ciel de Lyon", le précédent billet qui vous invitait à assister, avec nos ancêtres lyonnais, le 19 janvier 1784, au premier vol libre emportant des passagers dans le ciel de Lyon. Si l’aventure vous tente, je vous propose d’embarquer avec la première femme aéronaute. Le 4 juin 1784, à Lyon, l’événement attira une  foule semblable.




Élisabeth Tible est une héroïne mystérieuse et attachante. Plusieurs légendes la décrivent comme une jeune, belle et courageuse aventurière, la première femme parmi les pionniers des vols en ballon.

On raconte qu’elle a été mariée à douze ans, puis abandonnée par son époux, ce qui lui a procuré une grande liberté. Au-delà de la légende, j’ai recherché les sources pour mieux la situer. J’ai retracé sa généalogie. J'ai élaboré d'autres hypothèses pour comprendre sa famille et ses relations. . 



Isabeau Estrieux est née à Lyon le 8 mars 1757. Avec ses parents : Agathe Declaustre et Pierre Estrieux, marchand « clincalier » (quincallier), elle habitait rue Mercière.  C'étaient sûrement des voisins que nos ancêtres connaissaient.


Rue Mercière au 16e siècle

Elle épousa Claude Tible, marchand de bas de soie, le 12 janvier 1772, il avait trente ans, elle en avait donc quatorze. Son contrat de mariage précise qu’elle est « marchande de mode ».


Montgolfière La Gustave par Charles-Ange Boily 

Quel chemin l’a conduite à proximité des organisateurs de l’envol de la montgolfière ? C’est le deuxième à Lyon, et le troisième voyage aérien prévu pour transporter des hommes. Élisabeth avait confié à une amie « Tu sais combien je désirais m’élever dans les airs par le moyen d’un aérostat. Tu sais que si ma santé défaillante depuis quatre ans me l’eut permis à l’origine des Montgolfières, j’aurais peut-être donné l’exemple aux hommes qui m’ont tracé la route des cieux ». Par chance, le comte Jean Espérance Blandine de Laurencin lui laissa sa place. Elle embarqua avec le sieur Fleurant, le peintre qui a construit le ballon. La montgolfière, nommée la Gustave, en l’honneur du roi de Suède en visite à Lyon, décolla sous les applaudissements de la foule. Parmi les Lyonnais qui avaient assisté au vol précédent, beaucoup auraient souhaité se trouver à la place d’Élisabeth, et sûrement nos ancêtres levaient les yeux vers le ciel.

Élisabeth s’était habillée en costume de Minerve, coiffée d’un chapeau oriental à large bord, elle portait une robe blanche de taffetas serrée à la taille par une ceinture de soie bleue. Lorsque le ballon s’éleva, elle entonna l’ariette en vogue, de la Belle Arsène : « Je triomphe, je suis reine ». On dit qu’elle était soprano à la Comédie. 

Les conditions étaient idéales, en quelques minutes, le ballon atteignit mille cinq cents mètres d’altitude; malgré l’euphorie ressentie, la jeune femme a dû regretter sa tenue légère.

« Un froid subit nous saisit en même temps, ma compagne et moi ; il fut suivi d’un bourdonnement aux oreilles qui nous fit craindre de ne plus pouvoir nous entendre [...] Ces deux sensations durèrent peu et firent place à un état de bien-être et de suave contentement qu’on ne goûterait, je pense, dans aucune potion » expliqua Fleurant. 

« Les délicieuses rêveries » d’Élisabeth furent interrompues par un incident. Une des planches de la nacelle se disjoignit. Pour se tenir en équilibre, elle dut s’accrocher au cercle de la galerie, tout en continuant à alimenter le foyer. Le sieur Fleurant dit que « Mlle Tible qui a été la première de son sexe portée sur les ailes des Airs, a mis une précision, une prudence attentive et réfléchie à alimenter le réchaud placé au-dessous de l’aérostat. Il a ajouté que le sang-froid et le courage de sa compagne ont fait tout le succès de l’expérience ».


La montgolfière monta à 2 700 m. Il faisait froid, ils ressentaient des douleurs dans les oreilles et il devenait difficile de respirer. Fleurant diminua le feu pour descendre. Il fallut choisir un terrain convenable. La chute s’accéléra, la voilure éclata, le ballon tomba incliné, et la toile s’abattit sur les passagers avant de s’embraser. Aveuglée par la fumée, Élisabeth se blessa légèrement en dégageant son pied de la galerie. Malgré tout, ils réussirent à sortir sains et saufs.

Élisabeth ne pouvait pas marcher. Les deux héros ont été portés en triomphe sur des fauteuils ; au bout d’un moment, ils préfèrent montrer dans la voiture. «L’allégresse publique ne diminua point pour cela : tous les citoyens des quartiers de Vaize et de Bourgneuf, dans lesquels nous passâmes, vinrent nous complimenter aux portières. »

Si je les avais vus lorsqu'ils sont passés devant ma maison, j’aurais couru dire mon admiration à ces courageux aéronautes. 

 


Ce billet est issu de ma présentation pour une conférence au groupe  Patrimoine et Familles du Lyonnais (PFL).

Le projet est venu d’un appel à enrichir les articles Wikipédia, (il m'a été lancé par Pierre que je remercie). J'ai partagé mes sources, qui sont accessibles dans la bibliographie et les liens cités dans ces articles, à voir sur Wikipédia : 

Élisabeth Tible

La Gustave (montgolfière)

En 2022 est créé un opéra inspiré par la vie d'Elisabeth. La compositrice est Lisa Bielawa :  Tible http://www.lisabielawa.net/la-ballonniste




Ps. Je dois un grand merci à Sandrine; cette correspondante a trouvé des informations inédites qui sont bien utiles pour mieux connaitre Elisabeth Tible. 


2022-03-03

Dans le ciel de Lyon

 

Tout le monde levait les yeux vers le ciel de Lyon, en ce jour d’hiver du 19 janvier 1784.

 


Cela faisait plusieurs semaines que l’événement se préparait, les curieux étaient allés voir les essais de l’installation de la montgolfière dans la plaine des Brotteaux.

Des passionnés avaient mis en œuvre ce projet audacieux; Lyon allait prendre place dans les villes à la pointe du progrès en accueillant le troisième vol en ballon libre. 

C’étaient des esprits éclairés, des constructeurs, des courageux aventuriers, et des mécènes… ces hommes qui ont participé à l’organisation autour des frères Joseph et Etienne Montgolfier. Ceux-ci avaient réalisé les premières expériences à Annonay, l’année précédente.



Qui pourrions-nous reconnaître dans la foule qui assista à l’envol du ballon le Flesselles, le 19 janvier 1784 ? Il y aurait 100 000 personnes, dit-on ; en vérité, ce nombre semble exagéré, car la population de Lyon comptait alors environ 150 000 habitants.

 

Sans doute, tous les Lyonnais de notre forêt généalogique s’étaient déplacés, accompagnés de leurs cousins, des amis, des connaissances. Je suis sûre que plusieurs de nos ancêtres devaient se trouver là, fiers et curieux d’être les témoins de cet exploit.

 

Parmi les officiels, on remarquait : l’intendant, Jacques de Flesselles dont le ballon porte le nom, le pilote, Pilâtre de Rozier qui avait décidé que ce vol transporterait des passagers, le principal mécène, Jean Espérance Blandine de Laurencin, Jean Antoine Morand qui se réjouit de voir autant de passage sur son pont, ceux qui ont traversé le Rhône ont payé le péage ! Et Joseph Montgolfier dont ce fut l’unique vol.


 

Pierre Antoine Barou fut l’un des organisateurs de la souscription, c’est le cousin germain de Marguerite (sosa 373). La fille d’Étienne Montgolfier allait épouser un petit cousin à eux.



Pas facile de se frayer un passage parmi les nombreux spectateurs, on se bousculait, on s’interpellait, on se saluait.

Je suppose que l’on aurait pu rencontrer : Antoine Gontelle et Élisabeth Amory, et aussi Gaspard Margaron, sa femme Marie Clerc et leurs enfants, ainsi que Pierre Chartron, son épouse Marguerite Sauzion et leurs enfants. Ils marièrent leurs jeunes (sosas 178 et 179) le 15 août de cette année 1784. Il est bien possible que les familles Sandier et Mital et Durand se soient déplacées vers le centre-ville pour assister à l’événement.


Voici Le Flesselles, impressionnant par ses proportions gigantesques.



« Dès que le ballon fut enflé, le prince Charles, les comtes de Laurencin, de Dampierre et de Laporte s’y jetèrent. Ils étaient tous armés et bien décidés à ne pas céder leur place à qui que ce soit. M. Pilâtre […] proposa de réduire le nombre des voyageurs à trois et de tirer au sort. Personne ne voulut descendre. Ce débat s’animait. Les quatre hommes placés dans la galerie crièrent de couper les cordes. M. L’Intendant pensa qu’il convenait de les satisfaire. À l’instant où on coupa les cordes, M. de Montgolfier et M. Pilatre se jetèrent dans la galerie.* »

Alors que le ballon commençait à décoller, le sieur Claude Gabriel Fontaine, un jeune homme qui avait eu beaucoup de part à la construction de la machine s’accrocha.

Alors, la montgolfière tourna, baissa un peu, renversa deux pieux. Elle resta attachée par une corde qu’une personne intelligente coupa d’un coup de hache.

Il était midi ¾. Le vent était faible et la marche lente, mais l’effet parut extraordinaire .

Les voyageurs étaient très gais.

En quatorze minutes, l'aérostat s’éleva à plus de 10 ou 18 cents pieds. Il se dirigea vers le Rhône. De crainte de tomber dans le fleuve, les voyageurs alimentèrent le feu pour monter plus rapidement. Le vent ayant tourné, le ballon revint au-dessus des Brotteaux.

Il se déchira là où les toiles avaient déjà été endommagées par les intempéries des jours précédents. Le ballon resta un instant stationnaire. La déchirure contraignit Pilâtre de Rozier à lâcher du lest, pour ralentir la chute de la machine. À cause de l’atterrissage brutal, on déplora quelques contusions et des dents cassées, les aéronautes furent accueillis en triomphe. L’émotion des spectateurs s'exprimait par des cris et des battements de mains.



Parmi les Lyonnais présents, j’aimerais reconnaître ceux dont je n’ai jamais vu la silhouette, des hommes, des femmes, des enfants participant à l'enthousiasme de cette foule.

 Voir l’article que j’ai créé sur Wikipedia :

 Le Flesselles (Montgolfière)

L'envol suivant, cette même année 1784 à Lyon :

Une Lyonnaise dans les airs 

Sources :

Jean-Baptiste de Laurencin, Lettre à M. de Montgolfier, 1784 (lire en ligne

  • Faujas de Saint-Fond, Description des expériences de la machine aérostatique de MM. de Montgolfier, 1784 (lire en ligne sur Gallica)

2021-06-23

Antoinette et ses frères




Autrefois, une femme devait son statut dans la société à sa relation avec les hommes de son entourage. Antoinette Daurolles se définissait donc par son rôle au sein de la famille.

Épouse 

Pendant dix-neuf ans, depuis ses 16 ans jusqu’à l’âge de 35 ans, elle est l’épouse de Damien Balley, un marchand qui habite Montée de la Grand-Côte à Lyon.

On ne trouve pas leur acte de mariage, seulement la remise de la paroisse de St-Pierre St-Saturnin pour celle de St-Nizier. 

Alors, comment connaître ses parents puisqu’ils ne sont pas mentionnés ?

Mère

Toinette est la mère de Louise Balley qui semble être son unique enfant. Louise porte le prénom de son père Louis et de sa marraine, dame Louyse Bonjean. J’avais noté le nom de cette marraine, mais je n’ai appris que récemment que celle-ci est la mère d’Antoinette.


Grand-mère

Cette aïeule à la XIII génération est la sosa 5703 de mes enfants. Elle laisse quelques traces d’une vie heureuse.

On ne l’appelle pas Antoinette, mais plus gentiment Toinette, comme l’indique sa signature, à l’occasion du baptême de son petit-fils Thomas dont elle est la marraine.


Le 10 janvier 1670, en secondes noces elle épouse le jeune André Vermant. Je n’ai aucune nouvelle d’elle après 1677 ; elle est présente au deuxième mariage de sa fille, je suis sûre que cette nouvelle alliance a dû la réjouir.


Des hommes qui construisent

Le nom qu’elle porte est celui d’une famille connue à Lyon à cette époque. J’ai mis longtemps à valider l’hypothèse qu’Antoinette est liée aux frères Daurolles.

Claude et ses fils Benoît et Pierre Daurolles, dits Monard, exercent comme maîtres-jurés maçons de la ville de Lyon. Selon les actes consulaires, ils passent pour «très expert, entendu et cognoissant en l’art et mestier d’architecture et massonnerie ». Ils ont travaillé sur des chantiers importants dont il reste de beaux bâtiments dans notre ville.



 Voici le prix fait de l’église du collège de la Trinité. Les travaux supervisés par Etienne Martellange vont durer plusieurs décennies, de nombreuses mises au point pour ajuster les toisages irréguliers jalonnent les documents (AD Rhône, 1 D 9/2 et 3).

Eglise du Collège de la Trinité


Lorsque le Consulat décide de la construction de l’Hôtel de ville en 1646, ils sont chargés du projet porté par Simon Maupin.

On trouve des témoignages de l’importance prise par les entrepreneurs Daurolles sur ce grand chantier. On dit qu’ils n’en faisaient qu’à leur tête et qu’ils construisaient sans toujours tenir compte de ce qui leur avait été demandé. Les actes consulaires montrent plusieurs litiges les accusant de négligences, de retards et de mauvaise foi excessive…


Autour de Toinette

Antoinette s’est rendue souvent à l’Hôtel de ville de Lyon



Sa fille Louise est entrée dans la famille Blanchet ; Louis, peintre chargé de la décoration des salles, n’a pas été rebuté par les critiques concernant ses oncles qu'il devait cotoyer, il a choisi la jeune fille. Lorsqu’elle est devenue veuve, son beau-frère, Thomas Blanchet l’a soutenue. Louise habite alors l’appartement de fonction de son second mari, voyer de la ville et devient la voisine de mon cher Thomas Blanchet, peintre officiel de la ville de Lyon

Autour d'Antoinette, tous les hommes participent à la construction et à l'embellissement de Lyon au XVIIe siècle. 




Je peux enfin dresser cet arbre. Mes intuitions se sont confirmées grâce à B.F-J de la Société d’Histoire de Lyon qui m’a communiqué le contrat de mariage d’Antoinette. Grand merci à cet érudit pour son sympathique partage de ses recherches !

La lecture de ce précieux document permet de compléter la parentèle, comme l'indique le contrat.

Claude Daurolles étant décédé, sa fille procède de l’advis et conseil d’Anne Debolo, femme de son frère Pierre Daurolles qui gère la dot. Son frère Benoît est présent bien entendu, il doit être âgé, car ses enfants ont environ seize ans comme Toinette.

Benoît, en compagnie de son père et de son frère Pierre, a été chargé de très nombreux travaux : église du couvent de la Déserte, couvent des Grands Carmes, loge du Change…

Les différents commanditaires reconnaissent les compétences de leur entreprise.

Daurolles « un des meilleurs maîtres qui ont travaillé au pont du Rhône », possède beaucoup de connaissances pour les travaux de cette sorte » et de pratique à Lyon, à Pont Saint-Esprit et ailleurs, notamment au pont savoyard d’Étrembières. (source : https://books.openedition.org/cths/10787)


Beaucoup d'ouvrages n’existent plus, mais nous pouvons penser à cette famille et nous mettre dans les pas de Toinette pour apprécier des lieux dans Lyon.