2025-06-21

Une chandelle et une bassinoire

 

Mars 1699, en Provence.

La nuit envahit la grand-rue qui monte vers le haut du bourg de Saint-Julien.

Le vent apporte le parfum du bois qui brûle dans les cheminées, il fait encore frais en ce mois de mars 1699. Les nuages s’écartent et la lune qui se lève éclaire de sa clarté.

Alors que j’approche de notre maison, je vois sortir une femme, elle est suivie d’un homme.

Elle porte une chandelle et une sorte de boîte avec une lueur rougeoyante. Ils marchent en silence. Ils ne semblent pas me voir, sont-ils des fantômes ou bien suis-je transparente?



Elle a confié la petite lanterne à la chandelle à cet homme à l’allure élégante, tel un monsieur étranger : chapeau de feutre, bottes cirées et manteau de drap sombre bien coupé dont les boutons discrets luisent à peine à la lumière de la lanterne. 

La femme paraît jeune, elle a jeté rapidement un châle de laine sur ses épaules avant de sortir. Elle n'a pas ôté son tablier. Ses jupons superposés se balancent au rythme de sa démarche vive.

Elle semble fatiguée, mais elle avance d’un pas décidé avec ses souliers fins; pas trop vite pourtant, car elle est chargée. Elle ne s’arrête pas pour «faire charrette» avec les commères qui la saluent : «Bonsoir, Françoise». Elle travaille, ce n’est pas une bavarde, elle préfère rester discrète.

 

Je ne peux la laisser me dépasser sans l’interpeller. C’est Françoise Gaillardon, mon aïeule (sosa 857).

Comment l’aborder? Ce serait trop confus de lui dire ce qui me passe par la tête :

Chère Françoise, me reconnais-tu? Je t’ai rencontrée le 8 septembre 1710, dans ma maison... Enfin dans ton auberge… Tu as bien su gérer la situation compliquée ce jour-là. J’ai écrit toute cette histoire des «mulets du sel», regarde le premier des six épisodes de la série à lire ici : https://www.briqueloup.fr/2018/08/les-mulets-du-sel1.html

 

Elle ne s’attend pas à croiser mon chemin, mais j’ai trop envie d’entrer dans son époque, je m’insère prudemment dans son trajet, et je me présente doucement à cette aïeule. Elle m’adresse un sourire avec un peu d’étonnement.

Je suis frappée par son air déterminé indiquant une jeune femme pressée. Je regarde le réchaud de braise qu’elle transporte avec précaution.



Il n’est pas aisé de porter cette bassinoire en cuivre puisqu'elle est remplie de braises chaudes. Elle sera bien utile pour réchauffer un lit. Mais où allez-vous?

Je peux l'accompagner, mais elle me dit qu'elle ne doit pas s’attarder, pour ensuite vite rentrer à l’auberge, car elle a tant à faire dans sa maison. Les voyageurs ont terminé de manger la soupe et c’est l’heure de tout débarrasser. Joseph Audibert, son mari sert encore quelques verres, mais la servante est débordée, c’est beaucoup de travail en fin de journée. Sans compter que son petit Joseph âgé de deux ans demande sa maman avant de s’endormir.

Elle a épousé Joseph Audibert il y a trois ans. Depuis la mort de son beau-père Jacques, six mois auparavant, elle est vraiment devenue la maîtresse de l’auberge. C’est elle qui organise et donne des ordres pour que la maison tourne bien.

 

Beaucoup de voyageurs dorment à l’étage. Tous les lits sont occupés ce soir. Elle a demandé à Catherine Arnaud qui possède une bonne chambre d’accueillir le sieur Pellissier qu’elle ne peut loger. L’homme qui marche avec nous soulève alors son chapeau pour me saluer.

Il m’explique qu’il est venu pour vacquer en la procédure et sentence par lui faite au procès criminel...

 


Il n’a pas le temps de m’en dire davantage, car il est interrompu par deux hommes qui parlent en riant fort. Voilà le notaire, maître Jean Bon est accompagné de Louis Ricard…



Ils sortent du Cercle de l’amitié, le vin les a échauffés. Françoise les salue poliment, marquant le respect dû à leur fonction.

Ils engagent la conversation avec l’étranger.

«Comment s’est passé le jour d’hui, Messire Pellissier? Est-ce que l’enquête avance?

Nous aurions pu boire un verre chez votre hôte. J’ai vu que Joseph a fait rentrer du vin dans sa cave. Il sait bien le choisir. Nous pourrions le goûter ensemble.»

Maitre Pellissier répond qu’il se fait tard et qu’il va se coucher.

«On vous souhaite une bonne nuit alors!»



Nous entrons dans la maison de Catherine Arnaud que je ne connais pas. C’est une demoiselle bien mise, elle est vêtue d’une robe en laine bleue. Ses cheveux sont couverts d’une coiffe bordée de dentelle.

Sa fille aînée Marguerite a 25 ans, elle est née la même année que Françoise qui demande de ses nouvelles.

Catherine a rangé et nettoyé sa maison pour accueillir le visiteur.

Françoise lui donne une chandelle comme elle l’a promis, elle va dans la chambre réservée à leur voyageur, elle s’assure que le lit soit convenablement arrangé, elle tapote les oreillers, elle bassine pour réchauffer les draps, elle place les couvertes de laine. Elle sait remplir son rôle d’hôtesse mieux que Catherine qui cependant lui rend un grand service en louant la chambre.


Image générée par ChatGPT avec mes indications


Je remarque son air fatigué, elle prend congé de Catherine et de son hôte. Il lui tarde de rentrer chez elle.


Sur le chemin du retour, Françoise se montre un peu plus bavarde, elle explique que le sieur Pellissier paye bien pour ses repas pris à l’auberge. Pour son cheval, pas de souci, hébergé dans notre écurie, on prend soin de le bouchonner et de lui donner de la nourriture.

L’avocat détient une importante responsabilité dans le procès en cours, il doit séjourner plusieurs jours dans le village; il est préférable qu’il dorme tranquillement dans une bonne chambre au calme.

Elle a demandé à Catherine de lui préparer un lit dans sa maison, ce qu’elle lui accorda et chaque soir, elle doit l’accompagner ainsi avec chandelle et bassinoire. Catherine est veuve d’Elzear Boyer, quelques pièces d’argent sont appréciables dans sa bourse.

Je voudrais savoir si Madeleine Boyer, la grand-mère de Joseph est de la famille d’Elzear. Mais nous arrivons sur le seuil de la maison et Françoise n’a pas le temps de me répondre. Pendant que je fais tourner la clé dans la serrure, sa présence s’est effacée. Je rentre chez moi, je m’aperçois que je tiens encore la petite lanterne dont la chandelle s’est éteinte.

 



Ce billet est né dans mon imagination, étayé par les informations que je possède sur Françoise et son auberge. L’idée a pris forme en découvrant un acte étonnant, déniché lors d’une visite aux archives à Draguignan le mois dernier.

Ces détails m’ont inspiré le texte et j'ai brodé autour comme un rendez-vous ancestral. 

Il faudra que j’élucide l’enquête sur ce procès criminel, les recherches risquent d’être difficiles, je ne sais pas ce que les Archives du Var conservent au sujet de cette affaire.


Lire aussi la série d'articles 

dans lesquels sont impliqués l'aubergiste et sa femme 


2025-05-11

Qui prenait soin de la Pichotte

 

On l’appelle la Pichotte, c’est une jolie et tendre manière de désigner la fille de Pierre Pichot. 

La féminisation des patronymes est en usage dans certaines branches de nos familles.


Françoise Pichot dite la Pichotte, a vécu en Ardèche, à Mayres. Quand est-elle née ? Quand est-elle morte ? Je n’en sais encore rien.

Elle est ma grand-mère, sosa 867 à la 10e génération.

J’ai lu son contrat de mariage, passé le 25 novembre 1665. Ce jour-là, elle épousait Antoine Bonnefoy, (sosa 866). En écrivant les deux derniers billets, j’ai fait connaissance avec les ancêtres d’Antoine qui vivaient dans la montagne du Vivarais. Je ne pourrais pas vous dire grand-chose sur ceux de Françoise qui manquent de source. 

Sa maison se trouve à Saint-Martin de Mayres. Il ne subsiste pas de bâtiments de son époque dans le quartier situé en bas à gauche de l'église.


Mayres, dans la vallée de l'Ardèche


Qui prenait soin d’elle ?

Anthoine, son époux 

J’espère qu’Anthoine a été un bon époux.

Ils ont eu au moins cinq enfants dont deux filles, Anne et Marguerite qui sont chacune mes ancêtres !

Antoine, mentionné comme "hoste", doit tenir une auberge; par ailleurs il exerce la charge de fermier, il se charge de récolter les fermages. 

Il  a pu faire plusieurs acquisitions, notamment le 13 mai 1668 "d'un bois chastagnet* et d'une "terre issartille"**, ce qui témoigne d’une certaine aisance. 

Jacques, son premier mari 

Françoise était veuve de Jacques Cellier. Elle a dû hériter de son logis puisque le contrat qui régit le second mariage est signé dans la maison de la Pichotte. 

Je ne peux m’empêcher de penser qu’avec Antoine le mariage a été plus heureux. D’abord, puisqu’il est mon ancêtre, j’ai un a priori positif. Je revendique une certaine subjectivité. J’aime mes ancêtres comme des aïeux bienveillants, j’essaye de leur rendre un hommage respectueux, ne serait-ce que parce qu’ils m’ont donné la vie. Les recherches dans ma forêt me font rencontrer d’autres personnes qui ne sont pas mes sosas et certains ne m’apparaissent pas aussi sympathiques ; je crains parfois qu’ils leur aient causé des soucis.

Je n’ai pas de certitude, seulement une intuition en ce qui concerne le premier mari de Françoise.

Regardons cette étonnante quittance qui lui est payée le dernier jour du mois de septembre 1646, par Jean Pichot.

Jean, son frère aîné

Le 30 septembre 1646, Jean règle, ou charge une personne de payer audit Jacques Cellier :

La somme de 38 livres pour la nourriture et entretènement de Françoise Pichot fille de feu Pierre Pichot,

Laquelle il a nourry et guardé pendant 2 ans et demy 

Faut-il imaginer Françoise, petite orpheline, avec des jolies rondeurs de jeunesse, bien nourrie telle la captive de l’ogre. C’est quoi cette histoire ? Donc, après l’avoir nourrie et entretenue pendant deux ans et demi, Jacques Cellier l’a épousée. Était-elle consentante, avait-elle le choix ? Je suis inquiète, je ne le connais pas, je n’ai trouvé aucune trace de cet homme. J’espère que mes craintes ne sont pas justifiées.

Les amis et alliés

En 1665, dix neuf ans plus tard, beaucoup de personnes entourent Françoise Pichot avec Anthoine Bonnefoy, lors de la lecture de leur contrat de mariage, dans la maison de ladite Pichotte à Saint-Martin de Mayres.  

Auprès d’Anthoine se tient son oncle, Jacques Challas.

Oh ! Je vois aussi Louis Daubert qui est fils du notaire Estienne Daubert (mon sosa 3498), et encore Jacques Prat, le mari de la fille du notaire Jeanne d’Aubert (sosa 1747). Celui-ci deviendra mon sosa 1748, lorsque son fils Louis Prat épousera Marguerite Bonnefoy (sosa 875). Nous sommes en famille !


Jean Pierre, son frère

Alors, je suis sûre que Jean Pierre a pris soin de sa sœur 

C’est elle qu’il mentionne d’emblée dans son testament en 1690.

Il lui lègue 200 livres payables à raison de 40 livres par an.

Antoine Albert, le gendre va se charger de payer le légat que donne JP Pichot à sa sœur Françoise, veuve d’Antoine Bonnefoy. 80 livres, le 15 mai 1695 et sans attendre, dès le 27 juillet de la même année, il lui verse le solde.

Jean, son fils 

Jean va hériter de tous les biens de sa mère, comme elle le mentionne dans le contrat signé à l'occasion de son mariage en janvier 1695. C'est lui qui se chargera des affaires familiales, s'occupant de sa mère et de la dot de ses sœurs. 

Le fils de Françoise jouit d’une ascension sociale inattendue. Il est procureur d’office. C’est dans sa maison que se passe l’évènement ci-dessus.


Marie, sa fille

Cette somme sera vite employée par Françoise 

qui, quelques semaines plus tard, va doter sa fille.

 
Marie reçoit le jour de son mariage, le 25 juillet 1695 :

250 livres, une robe rayé grise et 2 brebis de l’héritage de son père ; et 125 livres de sa mère. 




Françoise a bien marié ses filles qui sont restées proches d’elle.



La solidarité familiale se révèle au fil des quittances acquittées. Françoise Pichot était entourée depuis ses jeunes années d’orpheline de mère puis de père, ses frères ont pris soin de payer pour qu’elle n’ait ni faim ni froid. 

Veuve en premières noces, elle a réussi un second mariage qui lui a donné 5 enfants. Anthoine Bonnefoy est mort trop tôt, entre 1681 et 1682, les enfants étaient très jeunes. La petite Anne n’avait que quelques mois. 

Françoise les a élevés peut-être avec l’aide de ses frères. Je suppose que Jean est l’aîné. Mon préféré est désigné comme Jean Pierre, on devait l’appeler Pierre comme leur père. Antoine probablement le cadet, était cordonnier, il a épousé Elenne Bonnaud en avril, peu après les noces de Françoise et Antoine.   


Françoise Pichot est ma double grand-mère à la génération 10.

Voir aussi

La montagne du Vivarais (1)

La montagne du Vivarais (2)


* Un "Bois chastagnet" est une châtaigneraie. Les châtaignes fournissent une subsistance essentielle en Ardèche.

"Terre issartille" désigne dans le parler occitan une terre "essartée". C’est une parcelle de terre anciennement débroussaillée ou défrichée (souvent en forêt), mise en culture après avoir été déboisée.

Iconographie
J'ai réalisé les gravures avec Chat GPT
source de la photo : Mayres dans la Vallée de l'Ardèche _ by Seryam, CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons

2025-04-05

La montagne du Vivarais (2)

 

Nos bouts de branches sommeillent depuis des siècles tout en haut de nos arbres. On désespère de mieux les connaître. Pourtant si l’on relève le défi d’écrire leur vie, la lumière les réveille et ils pourraient raconter des bribes de leur histoire.

Si on les écoute attentivement, les rameaux se mettent à bourgeonner, ils se couvrent de petites feuilles comme autant d’enfants, les fratries se développent. Lorsqu’on a la chance d’être invité par leurs notaires à l'occasion de la rédaction des contrats de mariage, ou au chevet d’un ancêtre qui dicte son testament en dotant son entourage, alors le bout de branche devient à son tour une branche porteuse de fruits.


Dans l'article précédent "La montagne du Vivarais", je vous parlais du père d’Antoine Bonnefoy. Antoine apparait comme un double sosa : 866 et 1750. Ce qui place ses parents à deux endroits de mon arbre. Des doubles bouts de branche. Vous me suivez ?


Vidalle Veyradier

La mère n’est pas citée dans l’acte de mariage. Elle figure dans quelques généalogies en ligne, mais sans source, je ne pouvais pas me permettre de l’adopter. Même si Vitale, la fille aînée d’Antoine porte son prénom, l’indice ne paraissait pas suffisant pour affirmer qu’elle est la petite-fille de notre mystérieuse Vidalle.

Et puis à force de chercher, je l’ai trouvée citée dans le contrat de mariage de son fils Pierre, établi le 12 juin 1645, par maître Etienne Daubert notaire à Mayres (lui, c’est notre sosa 3498). Il ne s’agit pas exactement du contrat de mariage, mais de sa ratification. Le notaire explique que les jeunes époux « n’avaient pas atteint l’age compétent pour pouvoir contracter valablement à cette cause ». On voit que Vidalle veille à bien faire les choses pour son petit Pierre qui doit encore être très jeune.  

assisté de Vidalle Veyradier sa mère

La même année 1645, le 24 avril, elle s’occupe de sa sœur qui se marie à Montpezat sous-Bauzon.

J’ai pu reconstituer une partie de sa famille grâce à la SAGA qui indexe et donne le lien direct avec les registres notaires de l’Ardèche. 
En lisant ce prénom original, j’ai eu envie de pouvoir ajouter ce rameau annexe.  Regardez :

Miracle Veyradière

N’aimeriez vous pas avoir une tante prénommée Miracle !

Et voilà qu’apparaît leur père ce jour-là, Pierre Veyradier, du lieu du Lac d’Issarlès.


Une autre sœur, Marguerite Veyradier s’est mariée l’année suivante à Mayres. J’apprends ainsi le nom de leur mère : Antoinette Aond.

L’arbre s’est bien développé. 



Vidalle a choisi les prénoms de ses deux fils selon son père Pierre et sa mère Anthoinette. 


J’aimerais bien voir le testament de Vidalle « en sa date » (laquelle et où ?). Le seul détail livré par une quittance, (mais tout détail reste intéressant) est la mention d’un don de 10  livres que son fils Antoine doit payer à Claude Cibourle, j’ignore encore qui c’est.

Vidalle est donc décédée avant le 26 décembre 1679. 

Il semble difficile de remonter plus haut dans cette branche. En relevant le défi #rameaux cachés proposé par "Raconter sa généalogie", je ne pensais déjà pas en découvrir autant sur ces rameaux.


Lac d'Issarlès


La Veyradeyre

Remontons jusqu’à la naissance de cette rivière, la Veyradeyre. Elle évoque le nom de la famille de Vitalle Veyradier et Claude Bonnefoy. Elle prend sa source dans la forêt domaniale de Bonnefoy, dans les monts du Vivarais, au pied d’anciens volcans que les gens de là-haut appellent des sucs. 

Elle passe devant la Chartreuse de Bonnefoy où les moines possédaient un bassin de poissons. Elle reçoit plusieurs ruisseaux. Elle bien vaillante cette petite rivière. Sur une petite partie de son cours, c’est elle qui dessine la frontière entre l’Ardèche et la Haute-Loire (entre le Vivarais et le Velay), à proximité du Mont Mézenc et du Mont Gerbier-de-Jonc où la Loire prend sa source. Elle s’éloigne de celle-ci pour mieux la retrouver; après avoir contourné le lac d’Issarlès elle devient son affluent.



Avez-vous une famille qui porte le nom d’une rivière (ou réciproquement) ? 

Je cours regarder si j’en ai d’autres dans ma forêt. 

Voir aussi :

La montagne du Vivarais (1)

Qui prenait soin de la Pichotte 


2025-03-23

La montagne du Vivarais

 

Dans la montagne ardéchoise, au mois de mars, l’hiver n’est pas terminé. La neige tombe encore sur la terre glacée, sur les champs, elle recouvre les forêts de mélèzes. Le brouillard et la froidure enveloppent le pays.

Lac d'Issarlès, en mars

Claude Bonnefoy que je connais si peu, vivait là-haut avant 1645. Ses fils Pierre et Antoine sont nés à Issarlès; ils se sont ensuite installés dans la vallée, au bord de l’Ardèche, à Mayres. Leurs contrats de mariage m’apprennent qu'ils sont « natifs du lieu du lac, paroisse d’Issarlès ». Cela me fait plaisir, Issarlès est un bel endroit, mais cela m’attriste, car leur père est déjà mort. 


Si les Bonnefoy ou Bonnafoy passent pour des hommes de bonne foi, cela me plait de les avoir pour ancêtres. 

Beaucoup de porteurs de ce sympathique patronyme sont issus des alentours d'Issarlès où j'ai eu envie d'aller pour ce généathème de la montagne.


Lac d'Issarlès
Lac d'Issarlès    Wikipedia

Ici, le vert domine, le vert tendre des prairies où paissent les vaches, le vert foncé des frondaisons, et l’enchantement du lac d’Issarlès, une émeraude sertie dans le cercle parfait du cratère d’un volcan.



En pensant à ceux qui se déplaçaient à pied au milieu du XVIIe siècle, je parcours la carte. J’entends les noms des lieux qui leur sont familiers : Coucouron, Lachapelle-Graillouse, Cros de Géorand, Sagnes et Goudoulet, ils faisaient rire mes enfants en évoquant les sites des classes de neige.  

On atteint le Mont Gerbier-de-Jonc en cinq heures de marche pour arriver dans ce lieu mythique où les pierres chantent sous les pas. La Loire prend sa source à ses pieds.

Non loin de là, au pied du Mont Mézenc, se trouve la Chartreuse de Bonnefoy fondée au XIIe siècle (décidément le nom s’inscrit dans la région !). Les moines se plaignaient des conditions difficiles liées au froid et à la rigueur du climat. Quand la  bise souffle, il est épuisant de résister. D'ailleurs même en été, les soirées apportent la fraîcheur, il est nécessaire de bien se couvrir.


Devant le couvent, coule une rivière, qui va se jeter dans la jeune Loire près du lac d’Issarlès, elle s’appelle la Veyradeyre. Son nom m’interpelle aussi. 

L’épouse de Claude Bonnefoy (sosa 1732) s’appelle Vidalle Veyradier (sosa 1733)


Où vivaient-ils dans ce pays d’habitat dispersé ? Peut-être dans une chaumière au toit de genêts, accroupie entre les près et les forêts.

Moulin de Cassioné, Cros de Géorand (Wikipédia)


Je ne connais pas leur métier. Je peux supposer que jadis, leurs ancêtres pêchaient dans le lac, qu'ils cultivaient la terre, et possédaient des vaches qu’ils engrangeaient le foin et le conservaient dans les greniers pour nourrir les bêtes pendant l’hiver. Et eux-mêmes, étaient-ils artisans ? Habitaient-ils dans le village au bord du lac d’Issarlès ? Aucun document ne m’en dira plus. Les registres paroissiaux sont publiés à partir de 1670, la famille Bonnefoy n’y vivait déjà plus.

Les notaires venaient-ils jusqu’à eux pour rédiger des actes de vente, des testaments. Lors des marchés, des foires, avaient-ils l’occasion de passer des contrats ? Alors, où trouver les archives ? Le pays se situe loin de tout, aux confins du Vivarais et du Velay.

Je me tourne vers la SAGA, société généalogique de l’Ardèche qui réalise un travail appréciable, en lien avec les AD 07. En affinant ma recherche sur leur site, je vais découvrir plusieurs actes notariés, numérisés et en consultation immédiate. 

Le dernier jour du mois de février 1667, le notaire Etienne Daubert (qui est d’ailleurs notre sosa 3498) propose un règlement pour résoudre un désaccord entre les frères Bonnefoy. Antoine réclame à Pierre 300 livres de l’héritage. Pierre se défend en évoquant la difficulté de la gestion des biens et le règlement des dettes. Et l’on entend Antoine « répliquant, disoit que les biens de sondit feu père sont d’une nottable valleur ».


Pierre devra payer la somme de 170 livres, en commençant par un versement de 40 livres la première année, attesté par acte en novembre 1667.

Bien sûr, j'aimerais déchiffrer le testament de Claude Bonnefoy passé « en sa date », chez le notaire au Cros de Géorand. Ce registre-là n’est pas numérisé. Mais, pouvoir lire de tels documents est déjà inespéré.

 

Clic pour agrandir et chercher où coule "La Veyrardeyre"


Ce généathème « la montagne » m’a donné envie de monter à 1000 m d’altitude dans les monts du Vivarais, en faisant revivre nos souvenirs ardéchois.

Aller à Issarlès, c’était rouler de longs kilomètres en virages tortueux sur des routes de montagne, en hiver dans la neige, en été pour des pique-niques au bord du lac. Nous ne pouvions pas imaginer alors qu’un bout de branche de nos ancêtres y vivait jusqu’au milieu du XVIIe siècle. (Mon père aurait été stupéfait et ravi de l’apprendre !)

De Claude Bonnefoy, je ne savais presque rien, avant d’écrire ce billet. Je ne connaissais même pas le nom de son épouse Vitalle Veyradier. Prochainement, je vous parlerai de cette branche au bout de mon arbre.

Voir la suite des découvertes de ces branches




2025-02-14

De la tendresse dans les archives (2)


Pour fêter l’amour blotti dans les archives qui nous parlent de généalogie, j’ai continué d’explorer un fonds privé conservé aux AD du Rhône.

Voici une suite à l’article que j’avais publié il y a un an.

 

De la tendresse dans les archives (1) vous présentait la correspondance envoyée par Pierre Antoine Barou à sa femme Jeanne Marie.

 




Aimeriez-vous recevoir des lettres se terminant par ces mots ?

 

21 juin 1783

Je t’embrasse de toute mon âme, et comme la meilleure amie de mon cœur, qui est tout à toi.

 

Les très belles formules qu’il emploie témoignent d’une exquise politesse envers sa femme.

Même s’il les répète souvent et presque systématiquement, Pierre Antoine se montre craquant. Je ne résiste pas au charme de ce gentilhomme du 18ème siècle.

 

Son épouse tient à lui, elle reçoit ses lettres avec plaisir, elle s’intéresse à tout ce qu’il lui raconte de sa vie, de ses voyages, de ses séjours à Paris, de ses rencontres. Elle espère qu’il lui demeure fidèle. Mais comme elle, j’ai quelques doutes. C’est un homme séduisant soignant sa mise, ses bas de soie, ses cheveux poudrés. Tel un avocat, il est beau parleur. Mélomane accompli, il joue du violon. Cet homme de lettres érudit possède une importante bibliothèque que nous visiterons plus tard. Il mène une vie sociale intéressante, voire éblouissante.

Il peut conter fleurette dans leur langue aussi bien à une Anglaise qu’à une Italienne, et les Françaises lui plaisent aussi.

 

Celle qu’il préfère, c’est sa femme qu’il a choisie et épousée le 9 mars 1770 à Lyon. Jeanne Marie n’est pas aussi cultivée que lui, mais il la considère comme sa « bonne et tendre amie » et sa confidente. 


4 avril 1785

Adieu, ma bonne et tendre amie,

Je vais porter ma lettre moi-même pour être assuré qu’elle partira –

Donne de mes nouvelles à mon père ;

J’aurais soin de t’écrire souvent et longuement, et je te manderai tout ce que je croirai propre à t’amuser. Ménage bien ta santé ; Sois bien tranquille sur la mienne, et reçois les baisers que je t’envoie du profond mon cœur. Mille choses aux amis.

 

Pierre Antoine lui raconte ses sorties dans les théâtres parisiens, à l’Opéra, en détaillant ses critiques comme un connaisseur. Il lui confie quelques secrets sur les personnes qu’il rencontre.

 

1783 Sortie de l'Opéra


Il lui écrit presque tous les deux jours. Il termine sa lettre au bas de la quatrième page, avec des baisers; sans jamais signer.

 

Je bavarderais plus longtemps mais le papier me manque. Mille tendres baisers.

 

22 avril 1785

Je t’envoie mille et mille baisers.


30 avril 1785
Ou encore, en anglais : Thousand kisses from my heart.


28 juin 1783

Les baisers que je t’envoie, et qui partent du fond de mon cœur t’arriveront surement.


15 juin 1783

 que tu continues à m’aimer, et je suis heureux. Je t’embrasse du plus profond de mon cœur.


Jeanne Marie a continué à l'aimer. 

Il est poignant le chagrin qu'elle éprouve après la mort de son époux, guillotiné en décembre 1793. Elle pleure son amour perdu, elle écrit sa peine dans son journal intime dont je vous ferai lire quelques lignes.


Ce billet est inspiré par le généathème "L'amour dans les archives !"


J'ai rencontré Pierre Antoine Barou du Soleil :

A Versailles, qui voulait-il rencontrer ? 

Dans le ciel de Lyon 

Dans la série L : administration et tribunaux de la période révolutionnaire

J'ai détesté : Les dénonciateurs qui ont provoqué son arrestation

Jeanne Marie a gardé (fonds privé aux AD 69)





2025-01-25

Blog anniversaire 10 ans


 J'ai dix ans



J’ai pris racine dans l’air vivifiant de la forêt de mes ancêtres, ils me transmettent des traces qui deviennent des récits souvent émouvants, des histoires parfois inattendues.

J’existe grâce à vous, mes lecteurs bien vivants, qui me soutenez par vos commentaires chaleureux, vos indications efficaces qui suggèrent des pistes à suivre ou même m’apportent des actes collectés aux Archives (Merci Hélène F.)

Certains abonnés sont mes amis sur les réseaux sociaux qui se recomposent activement depuis ces derniers mois; nous partageons les mêmes espoirs et les mêmes craintes. Quelques discrets anonymes restent entourés de mystère, comme maints aïeux, fantômes bienveillants. Sans oublier ceux dont j’aimerais faire la connaissance en live. Vous m’aidez tous à cultiver l’élan vital.



Il y a 10 ans

« La forêt de Briqueloup » est née en janvier 2015En relisant mes premières pages, j’entends mes balbutiements, quelques mots timides qui n’osaient pas trop s’étendre sur nos ancêtres, des billets courts, parfois semblables à des petits poèmes.

Regardez Briqueloup dans sa forêt, (les archives du blog sont consultables ici 👉 en déroulant 👇 à votre droite)  

https://www.briqueloup.fr/2015/01/blog-post_14.html


Je viens de faire un lifting avec remise en forme, pour que les pages les plus anciennes soient encore plus jolies, j’ai augmenté la taille de la police, celle des illustrations, j’ai aéré, j’ai un peu dépoussiéré. Heureusement, je constate que les articles tiennent la route et commencent à tracer des chemins pour se promener dans la forêt qui s’étoffe.  

Lors des ateliers, que depuis 10 ans, je présente au cours de la semaine de la Généalogie, aux Archives de Lyon, j’explique aux participants que l’on peut commencer un blog doucement, modestement, en publiant de petits billets. Comme des feuilles qui s’envolent, le vent les portera vers des lecteurs inconnus ou même des cousins nouveaux. 


Depuis 10 ans

J’ai publié 488 articles qui ont eu 782584 vues.




Mes séries regroupent ceux qui me tiennent à cœur.


Chaque année, le temps fort est le mois du ChallengeAZ.

J’ai adoré chacun de ceux que j’ai publiés. Je ne saurais dire lequel est mon préféré. Je me demande chaque fois comment réussir à faire quelque chose d’intéressant et je doute d’y arriver. Alors penchés au-dessus de moi, mes ancêtres apparaissent géniaux et ils m’aident bien à reconstituer leur environnement. Bien sûr, c’est plus facile pour les lieux qui me sont familiers, pourtant j’ai réussi à me sentir chez moi à Lyon, à Marseille, à Paris, à Versailles, en Auvergne, etc., en marchant sur leurs pas.

Mon premier ChallengeAz nous fait embarquer avec mes ancêtres marins en Méditerranée.  

Et pour le plus récent ChallengeAz, je craignais d’être trop éblouie, d’attraper un coup de soleil, en vous invitant à Versailles : "Nous irons à Versailles".


Bilan 2024




Amitié, combats, émotions…

Un lecteur de Leipzig, s’intéressant aux aviateurs de la Grande Guerre, a trouvé mon blog (voyez l’intérêt de publier). Il a utilisé un traducteur pour comprendre "S'envoler" l’histoire autour des secrets d’Antoine (1888-1917), il m’a contactée, et nos échanges sont devenus amicaux et chargés d’émotion. Il m’a appris des détails bouleversants que je raconte dans deux billets poignants « L’autre côté des combats » et « La mort ou la vie ». 



1     -> Je dis

0    -> Je ne dis pas

10  -> J’ai dix ans. J’ai gagné une certaine liberté et je peux me permettre de révéler des secrets. Des secrets de famille, des oublis de transmission, des détails piquants.

Les années, les siècles écoulés accordent la prescription, personne ne pourra me reprocher d'aborder ces secrets de boudoir, de libertinage, déjà ils ne gênaient personne au XVIIIe siècle et ils sont éventés depuis longtemps.

Je m’intéresse, en fait je suis sous le charme de Monsieur du Soleil, un gentilhomme qui pourrait m’éblouir si je le croisais à Lyon ou à Versailles « Qui voulait-il rencontrer ? ». Un fonds privé aux AD 69, dans lequel se trouve la correspondance de ce lointain cousin, m’a inspiré deux billets « De la tendresse dans les archives » « Un portefeuille plein de douceur, de nostalgie et de mystère »

Je suis en train de finaliser, pour le groupe Patrimoine et famille du Lyonnais, une présentation autour de ce personnage qui pourrait même faire l’objet d’un challenge, car j'aurais tant à raconter sur sa vie.

Alors j’hésite… quel sera le prochain Challenge…




Mon blog a grandi  :

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