2025-11-30

Z_Un gentilhomme qui reste mystérieux

       

Je n'ai pu vous montrer aucun portrait de Pierre Antoine et de Jeanne Marie.  Pourtant, je ne doute pas qu'il en existe encore dans leur famille. Il est fort possible que des tableaux de belle qualité continuent leur vie chez des particuliers, ceux-ci ignorant l'identité du personnage qui les regarde depuis son XVIIIe siècle. Auraient-ils eu le temps de poser pour leur amie Sophie de Tott, ou pour d'autres peintres qui auraient fixé leur image au delà de leur vie ?  Je ne désespère pas d’en rencontrer un jour !


Pierre Antoine Barou du Soleil garde son mystère.

Bien sûr, pas d’acte de décès, puisqu’il est guillotiné, victime de la Révolution le 13 décembre 1793.

Ni d’acte de baptême. Il a longtemps été difficile de le situer à Paris, d'ailleurs les archives ont brûlé.

Pierre Antoine et Jeanne Marie n’ont pas de descendance.


Leur hôtel, au n° 4 rue Saint-Joseph, à Lyon, a été démoli.

Leur domaine du Soleil a été éparpillé, puis vendu à des promoteurs.

Ses herbiers et ses collections ont été saisis. Où ont-ils pu être conservés ?

Sa signature est rare dans les archives. La voici en 1767 lors du mariage de sa sœur, Jeanne Marie Lavaud avec Pierre François Boscary.


Politesse au bas d’une lettre écrite en 1781.


Il n’éprouve pas le besoin de mettre son paraphe après les Kisses qu’il envoie à son épouse.

Celui de ses initiales, en 1789, est l’unique que je connaisse dans ses documents manuscrits.

Jeanne Marie ne montre pas davantage sa signature, sauf le jour de son mariage.


et en 1793 


A l'Académie de Lyon, ses collègues l'appréciaient. Réputé brillant orateur, il prononce des discours, des éloges, il donne quelques traductions, mais il n’a guère laissé de publications.

Que disait-on de lui ? 

Ses amis le regrettaient en évoquant ses qualités. Relisez les témoignages des naturalistes, compagnons des sorties où ils herborisaient.

Le Chevalier Charles de Pougens, qui a reçu l’hospitalité dans la maison des Barou, lors d’une convalescence difficile au moment où il perdait la vue, en a conservé une indéfectible amitié, et aussi une petite canne :

Ch de Pougens, lettres philosophiques ...
dans lesquelles on trouve des anecdotes inédites sur JJ Rousseau...
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9603587v/f223.image.r=Barou


 Ses biographes

Dans son Histoire monumentale de la ville de Lyon, Monfalcon écrit un article sur certains académiciens, notamment Barou. Il retrace sa carrière et donne quelques détails :

https://play.google.com/books/reader?id=WuNT-urt_ysC&pg=GBS.PA41&hl=en_US


Sa fortune importante a certes suscité des jalousies. Il occupait les fonctions de Procureur du roi en la sénéchaussée et présidial de Lyon. Procureur général honoraire de la cour des monnaies. Puis en 1787, il est nommé Procureur général, Syndic à l'Assemblée provinciale de la généralité de Lyon.

Sa femme est déçue qu’il n’ait pas été élu député du Tiers-État pour la convocation des États-généraux. Il ne s’est pas mis en avant et il sait rester humble et absent de cet événement où siègent ses collègues. 

1 mai 1789 Etats-Généraux


Menant le train de vie d’un gentilhomme, il avait le titre d’écuyer et vivait noblement, en jouissant d’une grande richesse, acquise par ses différentes charges.

Pierre Antoine n’était cependant qu’un bourgeois, il faisait partie du tiers-état. Sa femme aurait bien aimé qu’il accède à la noblesse, mais puisqu’il n’a pas rempli les vingt années de fonctions dans son office de procureur du roi, il n’était pas en droit de demander ce titre. 


En continuant d'explorer les archives conservées aux AD 69, je pourrais affiner la connaissance de cet homme séduisant qui reste encore méconnu. Il y aurait encore tant à raconter.

J'espère avoir contribué à lui donner vie dans ces billets du ChallengeAZ.


26 billets de ce ChallengeAZ 

consacrés aux Barou du Soleil 

l'index se trouve ici

https://www.briqueloup.fr/p/blog-challenge.html 

2025-11-28

Y_S’y trouver, s’y rencontrer


Lorsque Joseph Pérouse s’est installé à Lyon, les traces de la Révolution apparaissent bien fraîches. Lyon se relève à peine des destructions. Les beaux immeubles de la place Bellecour ne sont pas alors tous reconstruits.


Rue St-Joseph = Rue Auguste Comte

En 1815, Joseph a acheté une maison au numéro 7 de la rue Saint-Joseph, il est devenu le voisin de madame Barou du Soleil qui vivait au numéro 4. Ce n’est pas tout à fait sa grand-tante, mais plus exactement de la femme du cousin de sa mère, Marguerite Barou.


C'était un vieille dame très digne, avec beaucoup de classe. Discrète, comme savent l’être les bourgeoises lyonnaises, Jeanne Marie Durand porte le deuil de son mari depuis son décès, le 13 décembre 1793. Pierre Antoine Barou avait été guillotiné. 

Après les évènements de la Terreur, elle aurait souhaité ne plus revenir dans « cette horrible ville ». Il a bien fallu qu'elle s’habitue à son quotidien de veuve, dans une société nouvelle, bouleversée par les changements politiques. Beaucoup de leurs relations avaient souffert ou étaient mortes. Certaines amitiés se sont consolidées, d'autres se sont distendues. 

 

Joseph Pérouse, lui-même, avait émigré à Trieste pour sauver sa vie. Il était alors « marchand fabriquant de chapeaux de paille d’Italie». En 1798, il avait épousé Catherine Fanny Duboys. Ensuite, leurs trois enfants sont nés à Lyon où Joseph tenait une boutique de chapelier. (Ils sont nos sosas 186 et 187)

 

En 1815,

Jeanne Marie vivait avec son frère Simon Antoine Durand de la Flachère. Elle n’avait pas eu d’enfant. Mais sa nièce épouse de M. de Chaponnay et leurs trois enfants habitaient au 2e étage de leur hôtel particulier.


Rue Saint-Joseph


Joseph est au balcon, il fait un signe de la main pour saluer sa cousine qui marche dans la rue.

— Ma femme vous attend !

Jeanne Marie pousse la lourde porte en bois.


Elle monte les marches de l’escalier. Ses talons claquent sur les carreaux de terre rouge. Elle ralentit au fur et à mesure qu’elle grimpe au deuxième étage.


Elle reprend son souffle, en lisant le nom Pérouse sur la porte sur le palier du deuxième, elle entend une cavalcade et des rires joyeux.


Trois enfants courent dans le couloir. 
Leur père vient de les prévenir que la dame arrivait. Le tintement de la sonnette les arrête.

Joséphine, l’aînée va ouvrir la porte à la visiteuse, elle devance sa mère qui s’approche.

Catherine accueille une petite dame brune, qui porte avec soin ses 65 ans, élégamment vêtue d’une veste courte en velours vert sombre, sur une robe de soie gris perle. Elle est coiffée d’une cornette en dentelle sous un chapeau de paille acheté chez notre chapelier,

Jeanne Marie lui sourit, en tendant une main gantée pour la saluer. Elle fait glisser son châle en cachemire sur ses épaules, ce qui découvre le classique collier de perles.

 

— Alors, nous sommes voisines maintenant. La proximité avec la jeune famille de mon cher Pierre Antoine me réjouit. Vos enfants sont pleins de vie, ils ont bien grandi depuis que je les ais vus.

Joséphine (sosa 93) est une jeune fille de quinze ans, Joseph a eu neuf ans et Augustin va sur ses sept ans.

— Ils ont besoin de se dépenser; en fin d’après-midi, je devrais les amener prendre l’air et jouer place Bellecour.

Ils pourraient faire connaissance avec ma nièce Marie de Chaponay, ses enfants ont le même âge que les vôtres. 

Joseph P. salue sa cousine, sans avoir le temps de s’attarder.

— Je vous invite à passer me voir dans la boutique, chère cousine, j’ai créé de nouveaux modèles de chapeaux qui pourraient vous plaire. Maintenant, c'est tout près de chez nous !

Il enfile sa veste, il se rend dans sa fabrique, au n° 1 rue de la Sphère, (rue François Dauphin).

Catherine fait les honneurs de la maison, elle montre les différentes pièces. où ils viennent juste de s’installer. 

— C’est plus vaste que l’appartement du quai des Augustins, et puis nous sommes chez nous.

— Vous verrez la rue est agréable. Nous allons nous rencontrer souvent.


2025-11-27

X_ Cheveux

 

Le 4 avril 1785, Pierre Antoine Barou du Soleil arrive à Paris pour ses affaires. Il écrit à sa femme :

« J’ay bien emporté ma robe, mais j’ai laissé mes cheveux longs. Et comme ils vont ensemble, tu me feras plaisir de chercher avec Vasselier, quelque moyen de me les faire parvenir. »


Il a bien préparé ses bagages, mais il se rend compte qu’il a oublié un accessoire important pour sa tenue : sa perruque poudrée. Il aimerait que son ami, le poète, Joseph Vasselier trouve une solution pour réparer l’erreur. Éventuellement, il pourrait contacter un Lyonnais de confiance sur le point de monter dans une diligence en partance pour Paris qui se chargerait de la commission.

Portrait d'un avocat au 18e siècle

Homme de robe

Pierre Antoine porte la robe d’avocat, lorsqu’il rencontre les ministres à Versailles, il veut ainsi s’affirmer dans sa fonction de magistrat. Il possède deux robes de justice.

Observons ce portrait peint au 18e siècle, qui permet d'imaginer le costume de P.A.

La perruque blanche en cheveux bouclés montre le statut social.

La robe est noire, d’amples manches longues sortent les poignets de la chemise, en dentelle soigneusement repassés. Sur les épaules,  une cape bordée de fourrure d’hermine s'attache à l’arrière.

Un gentilhomme élégant

Chez lui, la garde-robe est remplie de vêtements d’homme soucieux de sa mise.

inventaire 3 frimaire an2

un habit veste en velours cizelé noir à bordure

un habit noir veste et deux culottes médiocres

huit gilets noirs et deux culottes noires

dix gilets satin, à bazin, de différentes couleurs

une veste culotte tricot de soye

cinq chemisettes toile coton

dix culottes de différentes couleurs dont une en peau

trois habits de différentes couleurs

cinq gilets de différentes couleurs dont un est glacé


L’habit masculin se compose d’une veste, d’une culotte et de bas.

Dans son armoire, il y avait encore :

12 bas de soie blanc, 6 bas de soie noir 3 bas de soie gris, 12 bas de fil et 10 bas de coton.

30 mars 1789

Tu me feras le plaisir de m'apporter mes habits de printemps ou plutôt d'été qui consistent en un habit rayé jaspe que j'apportais de Paris au printemps dernier, un petit habit de soie gris avec des boutons en diamant, et un habit de drap de soie noir, dont j'ay la veste, mais l'habit et la culotte doivent être dans mon armoire. 

A propos de noir, n'oublie pas pour ton compte d'en apporter, car il se pourrait qu'il y eut un grand deuil, du moins, on craint pour M. le Dauphin.


Vous savez ce qui manque : des portraits de Pierre Antoine Barou du Soleil vêtu des ses beaux habits. 



2025-11-26

W_ VeuVe

 

Tout était en désordre dans sa maison, dévasté, brisé. Comme elle-même, depuis la mort de son mari.

Jeanne Marie vêtue d’une robe de soie noire, un châle de dentelle sur les épaules s’assit dans un fauteuil couvert de bourre de soie chinée, les larmes lui brouillaient la vue. Elle eut de la peine à se reconnaître dans le grand miroir poussiéreux au-dessus de la cheminée; pâle, les traits tirés, abattue par le chagrin, elle avait perdu sa splendeur passée.


Mon mari a été la victime de la fureur des satellites de l’infame Robespierre. 

Ces hommes violents, armés comme des révolutionnaires, sont entrés dans leur maison, portés par leur colère. Il aurait fallu leur expliquer que nous n’étions pas si différents d’eux, pensa-t-elle. Pierre Antoine était épris de justice, et même s’il défendait ses privilèges il faisait partie du tiers-état. Certes privilégié, mais prêt à demander plus d'égalité.

Qu’allait-elle devenir maintenant que son mari était mort ? Guillotiné injustement, avec tant d’autres citoyens innocents.

Elle ouvrit un tiroir de sa commode et prit un des mouchoirs de batiste pour s’essuyer les yeux.


Parmi les papiers épars qui jonchaient le salon, elle ramassa des lettres que lui avait envoyées Pierre Antoine.


Si tu répugnes à venir icy, et que tu redoutes les embarras d'un nouvel établissement, tu attendras qu'il soit formé et je te laisse la maitresse de rester à Lyon puisque tu crois qu'on ne peut pas être heureux ailleurs. 
 

Elle regrettera toute sa vie cette fatale erreur de n’avoir pas accepté de s’installer dans la maison qu’il avait achetée à Annonay, l’année dernière en mars 1793. Il pressentait le danger, ils auraient dû fuir Lyon.

Annonay, rue de Charmenton _ Wikipédia

Que faire à présent ?

Pierre Antoine lui aurait dit : Va voir nos amis. Demande-leur de t’aider. Je sais que tu peux compter sur eux.

Jeanne Marie avait fait une liste de ceux qu’elle appréciait. Elle fit appel aux magistrats compétents pour récupérer ses biens. Il fallait produire des documents, des certificats, des témoignages, faire des réclamations pour les meubles et objets saisis.


Son contrat de mariage la protégeait, sa dot était importante. Son époux avait prévu de lui donner une rente pour assurer des revenus en cas de veuvage. Elle va devoir rassembler ses forces et sa détermination pour continuer à vivre seule.

Réparations

Sa maison a été occupée par des gens de guerre, elle a besoin de réparations. Beaucoup de choses ont été cassées, les portes ne ferment plus, il faut changer les clés, réparer les vitres.



 Lorsqu’elle aura récupéré de l’argent, elle pourra organiser sa vie et essayer de continuer. 
Voir aussi:





2025-11-24

V_ Violons


Les Barou possédaient cinq violons et une harpe, et une liasse de papier musique, selon l’inventaire fait en leur maison à Lyon. Ils gardaient sans doute d’autres instruments de musique dans leur château du Soleil.


Pierre Antoine jouait du violon. Qui touchait la harpe, est-ce lui ou peut-être Jeanne Marie ?

Il savait reconnaître les bons interprètes. Invité chez les Tott à Paris, il apprécie d’écouter Sophie qui joue fort bien de la harpe (source)

Sophie, dans une lettre à Jeanne Marie, laisse entendre que P.A.B. tiendrait parfaitement sa place dans un orchestre, ce qui témoigne de son excellent niveau de violoniste.

 Je fais beaucoup de musique; elle n'est que vocale pour moi, mais y a un fort bon orchestre, et je pense souvent que votre cher époux auroit du plaisir et en procureroit aux autres s'il était de la partie. Rappellez moi  je vous prie à son souvenir, en lui disant mille amitiés pour moi. Adieu ma très aimable amie, je vous embrasse et je vous aime de toute mon ame.                                                  Sophie de Tott


 Un Stainer 

Le 2 avril 1784, il achète un violon qu’il paye 600 livres. Le vendeur lyonnais lui garantit que l’instrument est un original de Stainer et certainement pas une copie.

Les violons de ce luthier autrichien passaient pour les plus réputés de cette époque. Les meilleurs solistes en possédaient un.

Facture du Stainer 2 avril 1784

Monsieur Barou prend soin de ses violons. Alors qu’il est en déplacement à Paris, il repère un artisan qui pourrait confectionner un étui pour l’un des siens. Il demande à sa femme de le lui apporter pour qu’il aille parfaitement à sa mesure.


Au concert

Sortie de l'Opéra

Lorsqu’il se trouve à Paris, il va au concert le soir. Très souvent. Il en donne ensuite le compte-rendu à sa femme, dans les lettres qu’il lui adresse trois ou quatre fois par semaine. 

Lettre écrite un dimanche soir, en août 1782

« Je reviens du Français [..] on nous a donné Pygmalion. Monsieur le premier violon de l’orchestre s’est avisé de changer la musique de Cognet [sic = Horace Coignet] pour la sienne aurait aussi bien fait de la respecter et Cognet triompherait à l’entendre. »…

 

Cette œuvre dont il déplore l’interprétation par le premier violon, il l'a entendue à une représentation à la Comédie-Française à laquelle il a assisté en compagnie de sa sœur et son beau-frère. Il la connait bien, car son histoire lui parle. Horace Coignet a composé la partition de Pygmalion, une pièce lyrique de Jean Jacques Rousseau. Coignet a rencontré Rousseau le 13 avril 1770, il a ensuite été reçu chez les Claret de la Tourrette. Pierre Antoine, en tant qu’ami de ceux-ci, avait entendu le récit de cette rencontre, à moins qu’il n’y ait assisté. Il a évidemment entendu Coignet l’interpréter au violon.

18 juin 1783

« Quant à la scène de Pirame et Thisbé […] c’est une froide et fade imitation du Pigmalion de Jean Jacques. » 

En toute familiarité dans cette lettre à sa femme, il appelle J.J.Rousseau par son prénom.

 

Chanter au coin du feu

A propos d’un chanteur Italien nommé Stella:

12 avril 1785

Récit d’« une expérience singulière […] la seule chose un peu gaie dans tous ses tours de force, c’est le ridicule de son chant quand il a voulu improviser en musique ; je croirais un peu m’entendre, quand j’improvise au coin du feu » 


Regardons cette scène : Pierre Antoine Barou du Soleil reçoit dans sa maison, la fraîcheur de la soirée est réchauffée par la chaleur de l'amitié, ses amis l'entourent rassemblés autour de la cheminée. On parle, on philosophe, on refait le monde, on chante, P.A. improvise.  Jeanne Marie sourit. Ils sont heureux.

Voir aussi :

Nos amis

En son Hôtel

Au Soleil

2025-11-23

U_Une amie originale

 « J’ai rencontré Melle de Tott elle est plus belle qu'elle n'a jamais été. »

Sophie de Tott 1785 par Vigée Le Brun, via Wikimedia Commons

Ce portrait, par son amie Elisabeth Vigée Le Brun, a été peint cette année-là. 

Il semble pourtant qu’ils étaient en froid, puisqu’il précise : « Elle dit qu’elle est toujours notre amie ».

Voila la brouille apparait terminée !  

Ils parlent du mariage de la sœur de Sophie. Justement, l’avant-veille, Marie Françoise a épousé René de Kermanguy, le 10 mai 1785.

Voici ce qu’en disait P.A dans une précédente lettre, le 2 mai 1785.

« Mimica de Tott épouse la semaine prochaine le comte de Kermingui noble breton, à qui elle apporte en dot 80000 livres »…

Je peux déjà vous dire que Marie Françoise se trouvera veuve l’année suivante et se mariera plus tard avec François duc de la Rochefoucault. 

Quant à une plus jeune sœur : « Kléraki n’a pas voulu épouser un vieux major de place et la voilà dit-on confinée au couvent ». 

Revenons à Sophie qui est soulagée d’avoir raccommodé leur amitié avec les Barou.


« Elle me dit qu’elle craignait bien d’avoir perdu notre amitié ; qu’elle avait bien des torts avec nous ; qu’elle en était si honteuse qu’elle n’avait jamais osé cherché à les réparer, en t’écrivant, mais que ses regrets devaient lui faire trouver grace. Je t’avoue qu’elle s’accusait de si bonne foi que je lui aurais pardonné pour mon compte à moins de frais » …

« Et si ce que l’on dit est vrai, elle s’est immolée pour donner une existence à ses sœurs, et soutenir celle de son père. Au surplus, elle ne prend plus au Chevalier qu’un intérêt de pitié »…

Charles Pougens by Wikipédia

Sophie a connu le Chevalier Charles de Pougens à Lyon. Il était reçu chez les Barou, c’était une période particulièrement difficile pour lui, car il perdait la vue à la suite d'une épidémie de petite vérole.

Dans ses mémoires, il confie la qualité de l’accueil de Barou du Soleil dans son hôtel.

Une autre personne qu'il rencontra pour la première fois, ce fut M. Barou du Soleil, avocat du roi à la sénéchaussée de Lyon et membre de l'Académie royale de cette ville, homme d'un mérite éminent et qui sut bientôt apprécier celui du jeune chevalier. Il conçut pour lui un tel intérêt, un attachement si tendre, qu'il l'engagea à venir occuper un appartement dans son hôtel, situé place de Bellecour. Là il lui prodigua, ainsi que sa vertueuse compagnie, les soins les plus touchans. Hélas ! cet homme de bien, ce véritable philanthrope, tomba victime de la révolution sous le règne de terreur, et ce fut un des chagrins les plus vifs qu'éprouva le cœur sensible de M. de Pougens.

source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9603587v/f223.item.r=%22Barou%20du%20soleil%22.zoom

Pougens homme de lettres, cultivé a étudié, la musique, les langues, la peinture. Sophie et Charles ont été passionnément amoureux, mais le père de Tott n’a pas permis le mariage.

Barou est resté ami avec le Chevalier dont il parle fréquemment.

Lorsqu’il séjourne à Paris, il se rend très souvent chez les Tott qui ont cinq filles, remarquables par leur charme et leur beauté.

L'aînée, Sophie « che hanno rifiusato molte propozioni » est une artiste. « Elle joue fort bien de la harpe ». Elle peint avec talent des portraits de personnages célèbres. Elle fréquente la cour à Versailles. Elle émigre en Angleterre, elle voyage.   

Selon Férenc Toth (https://doi.org/10.3917/dhs.055.0670:

Elle appartenait à la catégorie des « femmes exceptionnelles » qui dès la fin de l’Ancien Régime commencèrent à sortir du cadre de la société traditionnelle. 

Sophie de Tott en bacchanale, par Vigée le Brun 1785


 


2025-11-22

T_Traduire

 

Polyglotte, Pierre Antoine, parlait couramment anglais et italien. Dans les lettres à son épouse, il glisse des mots tendres dans ces langues.

La plupart terminent par un envoi de " kisses

 ou "addio cara mia"

En italien

La lettre du 1 mai 1780 est écrite en italien. Pierre Antoine y a pris un grand plaisir, cela laisse entendre que sa femme lisait cette langue. Comment l’avait-elle apprise ? Peut-être, son mari, pour partager des moments agréables, conversait-il avec elle ainsi.

« Tu as sûrement reçu de moi cara mia consorte le due lettere, ch’io t’ho scritto »…


Jeanne Marie lui répond en italien. Comment a-t-elle appris cette langue ? Je soupçonne Pierre Antoine de lui proposer des conversations pour pratiquer avec lui. Il essaye de l’encourager avec indulgence pour ses petites erreurs.

« Ho rucevuto, cara mia consorte, la tua lettera in Italiano, te ne ringrazio et benche vi siano alcuni sbagli, pero si prco dire, che pauca …»

Amateur d’opéras, musicien et mélomane, cet homme cultivé comprenait l'italien qu’il écrivait naturellement avec style. Langue de lettré, d’homme sensible, charmeur qui lui convenait.

Il effectua un long voyage en Italie et en Sicile, de novembre 1768 à mai 1769, l’année précédant son mariage. Il était en compagnie de Claret de la Tourette et Cléricot de Janzé (compagnon d’infortune puisqu’il fut guillotiné le même jour que lui, le 13 décembre 1793).

Le Grand Tour constituait un voyage d’éducation des jeunes gens. On peut imaginer ce périple dans les villes incontournables, pour voir les monuments, les musées, les sites indispensables à la culture.

Pierre Antoine a pu pratiquer la langue lors de rencontres, notamment auprès de séduisantes Italiennes; nul doute qu’il a pris du plaisir à fréquenter ces belles.

En anglais

En 1783, il voyage avec un ami de Paris à Londres. La traversée de Calais à Douvres dure dix heures. Le 1er juillet, il partage cette description de Londres.  

« Nous nous lançames dans cette ville immense, ses abords, la grandeur et l’uniformité des rues, la propreté des maisons, le mouvement perpétuel sans désordre et sans cris, lui font donner au premier coup d’œil la préférence sur Paris ; mais dans les détails, Londres ne peut pas entrer en concurrence par la partie des monuments. »

Il ne manque pas de parler de la mode à Jeanne Marie « Au reste les femmes sont vêtues comme vous l’étiez toutes il y a deux ans. »


 

Traductions

Pierre Antoine Barou a effectué plusieurs traductions en prose ou en vers d'ouvrages anglais :Tristam Shandy en 1781, des fragments de Sir Hugh Blair en 1786 etc. 

Le dictionnaire

Barou est nommé commissaire, avec Vasselier, par l'Académie de Lyon, pour réviser le dictionnaire français-anglais et anglais-français préparé par M. Bruyset, éditeur.

L'examen par les commissaires est très positif, et Claret de La Tourette, secrétaire perpétuel de l'Académie, certifie leur rapport.


En espagnol

Il achète un diccionario della lingua castellana qu’il paye 54 livres.

Pierre Antoine a pu voyager en Europe, je me demande quels pays il a visités, et s’il était accompagné de son épouse.

 Voir aussi :

Kisses