2022-12-17

Un prénom à l’envers


Le généathème de ce mois a pour sujet l’océrisation. Il s’agit du traitement d’une image par un logiciel de reconnaissance de caractères, ainsi le logiciel[1] déchiffre les formes et les traduit en lettres. À partir de là, il va être possible de faire des recherches plein texte.

Dans les journaux numérisés, puis océrisés, j’ai pu trouver le patronyme de mes ancêtres, ce qui occasionne une cascade de surprises. Tout en écrivant ce billet, les découvertes se sont enchaînées.

 


Un Rendez-vous Ancestral avec un professionnel de la typographie pourrait m’aider à éclaircir un mystère.

 


Je vais donc me rendre à Marseille pendant l’été 1917.

J’entre au numéro 24 du boulevard Mérentié, où habite Ferdinand Nicolas, mon arrière-grand-oncle. La porte s’ouvre, sa femme Marie Augustine "Thaïs" Brunet, m’accueille. Elle m’invite à boire un café en attendant son mari.

    Permettez-vous que je vous appelle Thaïs ?

Mon prénom est devenu à la mode récemment. Mon mari m’a emmenée à l’opéra, j’ai adoré la soprano. Les représentations de Thaïs ont fait scandale en 1900, mais maintenant c’est un succès. Est-ce que vous aimez l'opéra comme Rose, la fiancée de Marius ?

Thaïs est heureuse de bavarder avec moi, sa voix à l’accent chantant de Provence me plait. 

Je la laisse parler et je n’ose pas lui demander pourquoi elle est nommée Anaïs dans la publication de son mariage en 1889[2].

                                 

J'aimerais qu'elle me dise si elle s'entendait bien avec sa belle-sœur, mon arrière-grand-mère, car c'est elle l'objet de ma visite.

 - - Nous étions voisines en 1889, elle demeurait au numéro 9 de la rue Escoffier, nous habitions au 29 boulevard Chave. Ma mère tenait alors une épicerie dans le quartier du Camas. On la voyait, accompagnée ses deux petits garçons Marius, sept ans, et Joseph, cinq ans.

    - Marius est mon grand-père ! Avez-vous connu son père ?

  - Bruno, le capitaine … Mon beau-frère m’impressionnait beaucoup. Il était très sévère. Il est mort trois ans après notre mariage. La vie n’était pas facile pour sa femme, devenue veuve elle avait besoin de travailler, elle est devenue épicière[3]  comme ma mère.

   - Est-ce que c’est elle qui vous a présenté Ferdinand ?

  - Je le trouvais bien vieux, j’avais 26 ans et lui 42 ans. Mais il était instruit et avait une bonne situation de lithographe, donc ma mère m’a poussé à le rencontrer pour voir s’il me convenait.

 

Ah ! voilà Ferdinand qui arrive. Il revient d'une réunion au cercle, il s’occupe de politique avec les Républicains socialistes[4].

Son mari se déplace lentement, le dos courbé, il paraît triste et usé ce vieil homme de 70 ans.  

Je lui présente mes condoléances pour le décès de sa sœur aînée.

- Je suis désolée de n’avoir pu me rendre à l’enterrement de mon aïeule, car je n’ai pas été prévenue à temps. Je sors de mon sac un petit papier[5].


  - La mère de mon grand-père s’appelle bien Marie ? Que s’est-il passé à l’imprimerie du Petit Marseillais ? Le typographe a mélangé toutes les lettres :

M A R I E

    I R M A

Ferdinand sourit de voir ma réaction. 

 - Il aurait pu faire attention, c’est n’importe quoi ! Ou alors c’est l’océrisation qui ne reconnaît plus les lettres.

Il répond tranquillement :

  - Mais non, le typographe n’a pas fait d’erreur ! C’est mon métier et je t’assure que l’on doit être sérieux, surtout dans un avis de décès. Tu peux faire confiance.

   - Elle se faisait appeler Irma ? Je l’ai vue signer Marie !

  - Dans notre famille Nicolas, cinq des sept filles ont reçu ce prénom. 

   - C’est à n’y rien comprendre ! J’ai vu Marie Thérèse Catherine dénommée Virginie sur son faire part de décès[6], Marie "Joséphine" Zoé devenir Marie Joséphine Julie[7], puis Marie[8]. 


au clic pour mieux voir les prénoms des Marie !


     - Mes sœurs se faisaient appeler sous d’autres prénoms.

Et mes deux frères s’appellent Marius. C’est à eux que notre neveu doit son prénom. Je me souviens du jour où j'ai accompagné Bruno pour  déclarer la naissance de ton grand-père.

 

Thaïs est allé chercher une photo de Marius (sosa 12) qu’elle me montre. Il porte le brassard de deuil. Heureusement, il a pu se trouver auprès de sa mère lors des derniers moments. Il était en convalescence, rapatrié après une blessure dans les Dardanelles…

 Thaïs repart et vient déposer sur la table une carte postale envoyée de Salonique.

 


     -  Nous avons reçu des nouvelles de Marius, il est retourné sur le Front d’Orient après les funérailles de sa mère. Il a écrit de Salonique le 29 août. Son frère Joseph s’y trouve aussi.

    - La guerre ne se terminera donc jamais ? déplore Ferdinand qui paraît très fatigué.

 

J’aurais encore d’autres questions, mais je dois prendre congé. Le soleil m’éblouit lorsque je sors dans la rue du Camas, je suis un peu sonnée. J’éprouve le besoin de marcher dans ce quartier qui est aussi celui de Rose que Marius va épouser après la guerre.

Je suis tellement surprise d’apprendre que Marie était connue sous le prénom d’Irma. "Marie" Augustine Rose, première-née de la famille, qui porte les prénoms de sa mère Rose et de son grand-père maternel Auguste.

Moi qui croyais la connaître un peu …

J’aurais dû demander à son frère de me parler plus longuement de sa famille, mais sa femme m’a fait signe qu’il était fatigué. Aurais-je le temps de le revoir ? Il va mourir avant la fin de l’année 1917[9].


Les billets qui mettent en scène mon arrière-grand-mère :

Une lettre que j'aurais aimé recevoir : M- Marie

Elle habite à Marseille en 1880, rue Kleber

ensuite  rue Hoche à Marseille


[1] C’est l’occasion de découvrir que mon logiciel PDF24 creator est capable de reconnaître le texte d’une image. Je me sers beaucoup de cet outil et je vais utiliser cette possibilité.   https://tools.pdf24.org/fr/creer-pdf

[2] Le Petit Provençal, 13/5/1889.

[3] Indicateur Marseillais.

[4] Le Petit Provençal, 6/7/1914, élections. 

[5] Le Petit Marseillais, 25/12/1914.

[6] Le Petit Marseillais, 30/04/1917.

[7] Le Petit Provençal,15/09/1890

[8] Le Petit Marseillais, 25/02/1914

[9] Le Petit Marseillais, 9/11/1917.

 

2022-11-30

Z_ Zélia et sa correspondance

 

Zélia est l’arrière-grand-tante de l’arrière-grand-mère de mes enfants. Lorsque j’ai eu accès aux archives de sa correspondance, j’ai passé tant de soirées à lire et à étudier ses lettres qu’elle est devenue comme une amie pour moi.


Zélia habite à Lyon depuis son mariage avec Augustin, en 1845, son mari est médecin, il a vécu le double de son âge puisqu'elle a 18 ans. Le couple est heureux, Denis et Gabriel, leurs deux garçons font leur fierté. En 1866, lorsque l’aîné réussit le bac, ils vont tous les quatre déménager à Paris où les fils poursuivent leurs études.

Zélia regrette de ne plus vivre à Lyon. Elle va tenir une correspondance assidue pour garder les liens avec la famille de son mari, jusqu’à sa mort en 1913.


1866, le 21 janvier.



Zélia est installée depuis peu à Paris, la correspondance avec sa belle-sœur Virginie devient régulière.

Elle décrit sa vie parisienne, les différences d’avec celle qu’elle menait à Lyon, les désagréments, mais aussi les promenades, les expositions, les avantages de la capitale où elle a choisi de vivre avec ses fils. Elle renouvelle ses invitations à venir chez elle à Paris.




1870, c’est le siège de Paris depuis le mois de septembre jusqu’en février 1871.

On retrouve des télégrammes, des lettres envoyées par ballon monté. Certaines dépêches télégraphiques par pigeon-voyageur sont consultables sur Gallica.

Augustin est affaibli par de longues semaines de rationnement, par les rigueurs de l’hiver exceptionnellement froid, il n'a pas pu se remettre de sa bronchite, il décède en avril 1871.

D’avril 1871 à 1880,

Zélia écrit à sa belle-sœur Virginie; dix-huit lettres sont conservées.

Virginie lit celle du 6 janvier 1880, elle meurt le 17 janvier.

À partir de ce moment, Zélia écrit très fidèlement à ses nièces Marie et Angèle, les lettres sont partagées par les deux sœurs, cependant Marie semble l’interlocutrice privilégiée.

Marie a classé et rangé soigneusement les courriers qu’elle a reçus, ainsi que la correspondance de sa mère Virginie. Ces documents ont été transmis aux enfants de Jeanne.

Zélia entretient un échange moins intime avec Jeanne, épouse de son neveu Honoré. La première lettre conservée est datée du 13 janvier 1868, elle répond aux vœux de Nouvel An de Jeanne. 

Dix ans plus tard, en août 1878, Zélia félicite Honoré pour les succès de ses fils. Zélia a soutenu les jeunes, elle les a hébergés au cours de leurs études à Paris, ensuite elle les a reçus lorsqu’ils séjournaient dans la capitale.


À partir de janvier 1880, jusqu’en 1913,

La correspondance avec ses neveux et petits-neveux sera plus fournie et conservée régulièrement.

Zélia écrit plus souvent à Jeanne, qui a gardé 67 lettres. Jeanne veuve depuis 1886 élève seule ses huit enfants, Zélia s’intéresse à la vie de chacun. L’aîné, Jean travaille à Paris, il est ami proche de ses deux cousins.

Tout au long de l’année 1889, Zélia invite tous ceux de sa famille à venir visiter l’Exposition Universelle à Paris. Elle se réjouit de leur accorder l’hospitalité lorsqu’ils peuvent loger dans la chambre d’amis chez elle.

La Tante Zélia me donne des nouvelles de nos ancêtres directs qu’elle recevait aussi chez elle. Je regrette qu’ils n’aient pas conservé et transmis la correspondance qu’elle a pu leur adresser. Elle m’a appris à mieux les connaitre en partageant ses impressions à leur sujet.

 

Dans ce ChallengeAZ, différentes lettres de Zélia ont fait l’objet de plusieurs billets :

C_  Condoléances

H_  Hospitalité

J_  Je

P_ Pigeon-voyageur

R_  Répondre

S_  Santé

B_  Bienvenue Bébé

Y_  voYage

2022-11-29

Y _ voYage

 

Cette voix traverse les âges et nous invite au vo Y age.

Lorsqu’un des membres de la famille s’éloigne, les lettres s’échangent. Les voyageurs racontent les péripéties du parcours, ils décrivent les lieux visités, leur regard apparaît souvent très intéressant. On peut leur répondre poste restante, pour leur donner des nouvelles de ceux qui restent à la maison.  



Suivons les traces laissées par Zélia, et embarquons pour un voyage dans son époque.

Le 21 septembre 1884,

Hambourg, les bassins de l'Alster 1850 

Zélia et son fils Gabriel sont arrivés à Hambourg. Ils effectuent un voyage touristique depuis une quinzaine de jours; alors, Zélia qui tient la plume pour écrire à ses nièces n’a guère trouvé le temps de se poser devant l'encrier et le papier à lettres. Le trajet a été mené tambour battant. Gabriel a tellement envie de parcourir l’Europe pour découvrir la modernité des villes industrielles.

L’écriture de Zélia est celle d’une femme cultivée, soucieuse de partager ses impressions. Elle a recours aux nombreux adverbes et aux qualificatifs qui sont devenus des clichés. Pour communiquer son enthousiasme, elle répète que le lieu lui paraît un des plus beaux, les villes sont splendides, ravissantes, attrayantes

Selon l’usage au XIXe siècle, les points-virgules marquent une petite pause à la fin de phrases longues, on s’arrête plus rarement sur un point suivi d’une majuscule. J’aimerais reprendre mon souffle avec une ponctuation d’aujourd’hui.




Le voyage qu’elle raconte dans cette lettre témoigne d’un rythme intense que Zélia préférait plus tranquille, mais Gabriel, jeune et dynamique a envie de visiter l’Europe. Alors, sa mère âgée de 56 ans et en bonne santé se montre capable de s’adapter.



Chère Marie,

Quand je songe que je voulais vous écrire à Uriage, et que me voilà à Hambourg avant que j'ai pu trouver une minute pour vous donner des nouvelles, cela me met devant les yeux, le côté triste des voyages de en plus rapides qu'aime à faire Gabriel; il voudrait je crois voir l'Europe entière en quelques semaines; depuis 16 jours que nous sommes partis, Nous avons visité la Belgique et la Hollande, en nous arrêtant dans toutes les villes où il y avait à voir la moindre chose, nous avons vu souvent deux villes le même jour de 8h du matin à 7 h. du soir. Nous ne nous arrêtons souvent que pour manger; il m'est arrivé d'être bien lasse le soir, mais une bonne nuit me remet.

Je n'entreprendrai pas le récit de notre voyage, il serait trop long, et le temps me manquerait; Je vous dirai simplement, que de toutes les villes que nous avons vues, beaucoup selon moi étaient insignifiantes, mais, Bruges en Belgique, Anvers, m'ont beaucoup intéressée, Rotterdam, La Haye surtout, sont deux villes ne ressemblant à aucune autre; Nous avons vu en Hollande, une petite ville, Arnhem, qu'on ne va voir que pour ses environs, mais ce sont les plus beaux de la Hollande et nous avons visité un des plus beaux parcs que nous ayons jamais vus; j'ai pris un plaisir infini à Arnhem, qui est la dernière ville que nous ayons vu en Hollande, à part Münster, nous n'avons vu encore en Allemagne que de grandes villes industrielles, que Gabriel admire beaucoup, mais qui me laissent froide. Hambourg est une ville ravissante, la plus attrayante peut-être de toutes.

Nous sommes admirablement bien logés; nous avons une vue splendide de nos chambres sur les bassins de l'Alster; qui ressemblent à deux grands lacs bordés d'arbres splendides; de notre hôtel, on pourrait se croire en Suisse; il y a vraiment des villes bien privilégiées. Nous partons demain pour Berlin qui nous plaira probablement moins qu'Hambourg, c'est ce que je vous dirai quand nous aurons le plaisir de vous voir.

Je désire bien avoir de vos nouvelles mes chères nièces, et je n'ose pas vous dire de m'en donner à Berlin, dans la crainte qu'elles n'y arrivent après notre départ. Ce sera plus sûr de nous adresser votre lettre à Dresde; [...]

Mais si vous ne pouviez écrire que plus tard un jour ou deux après, le 28 par exemple, adressez votre lettre à Nuremberg; mais j'espère trouver une lettre de vous à Dresde, et je vais l'y attendre impatiemment. [...]

 

 J'accompagnerais volontiers Zélia et Gabriel, s'ils m'invitaient à voyager en leur compagnie... 

 



2022-11-28

X_ Expéditeurs et destinataires impatients



Élisa espère régulièrement des messages de sa fille Virginie. Dans chacune de ses lettres, plusieurs lignes sont consacrées à exprimer cette attente.




Le 17 août 1834

« Je commençais à avoir bien besoin d’une de tes lettres, Ma Chère Virginie » 

 

Mardi 12 août 1851

Il y a neuf jours que Virginie n’a pas envoyé de courrier. Même si Élisa a reçu le 9 août une lettre de son petit-fils Honoré et des nouvelles par Pacôme, la tristesse l'envahit.




« Je prends la plume aujourd’hui, Ma Chère Virginie, mais ce n’est pas avec l’intention de faire partir cette lettre. Je suis trop peinée de ton long silence. Je ne veux pas finir d’écrire sous cette impression. Elle te porterait ma tristesse. Comment as-tu pu rester si longtemps sans t’occuper un seul jour de ta sœur et de ta mère ? Oh je sais bien que ta pensée a été avec nous. Mais cela ne pourrait nous suffire. Voilà aujourd’hui neuf grands jours que je n’ai pas un mot de toi. C’est déjà si cruel d’être éloignées. Comment ne pas chercher à adoucir cet éloignement ? »

 

Le mercredi suivant, la lettre tant attendue arrive.

« Nous sommes accoutumées maintenant à tant de vitesse qu’une lettre nous paraît très en retard lorsqu’elle nous reste deux jours en route »

 

Ch. Veret, La lecture de la lettre,  1840


La dimension du réseau épistolaire s’étend au-delà du destinataire mentionné dans l’adresse.

Elle englobe la famille proche, les cousins que l’on salue, les amies ou les relations dont on donne des nouvelles…

 « La correspondance est destinée à être lue, d’abord par le destinataire, par sa famille à qui il ne manquera pas de transmettre intégralement ou qu’il racontera en partie. » explique l'historienne Arlette Farge. 

 



« Je ne puis dire à mes trois chers enfants le plaisir qu’ils m’ont procuré en m’écrivant»

Les « trois chers enfants » sont ses deux filles : Suzanne âgée de 7,5 ans, et Virginie 19 ans qui a épousé Joseph il y a juste un an. (Joseph est le frère de notre sosa 93).

« Ma petite Suzanne m’a écrit une lettre tout-à-fait jolie et dont je suis bien contente. Je vais la montrer à toutes ses tantes… qui m’en feront bien des compliments. »

Dans le tableau ci-dessus, La lecture de la lettre, observons tous les personnages, notamment les deux hommes dans l'ombre, et l'on ne sait pas qui peut se cacher derrière les paravents. Alors, l'expéditeur.trice ne doit pas oublier de rester discret.e. 

 


2022-11-26

W_ Wagon

 

Les débuts du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon.




Le 9 octobre 1825, Jean G. écrit à sa fille Eliza (la destinataire de la belle demande d’Honoré qu’elle a acceptée). Il lui raconte le voyage effectué avec sa mère et sa sœur. En allant voir son frère, ils se sont arrêtés à Saint-Etienne.  




"Ces dames ont vu à St-Etienne un modèle en nature du chemin de fer de cette ville à la Loire, dont on parle tant : c’est une chose fort simple et fort curieuse ; elles te l’expliqueront de vive voix."

 


Commencée en 1826, sous la direction de Marc Seguin, cette ligne connaît plusieurs modifications de tracé et d’aménagements tout au long du XIXe siècle.

En avril 1832, le chemin de fer est mis en service pour le transport des marchandises et le 1er octobre, les passagers peuvent l’emprunter entre Saint-Étienne et Lyon.

Les wagons étaient tirés par des chevaux jusqu’en 1844, époque à partir de laquelle la locomotive à vapeur va les remplacer. Le trajet est plus rapide, mais on déplorait des accidents, car les passants inconscients du danger circulaient au bord de la voie de chemin de fer.

 🚂

 

Locomotive dans la nuit, Beysson 


Le 3 novembre 1863, la tante de Montbrison invite ses neveux.  

Elle avait épousé en 1817 François le frère de Jean. Jeanne Marie avait alors 26 ans et François 47 ans. Veuve depuis quinze ans, mais sans enfant, elle a gardé des relations privilégiées avec les petits-enfants d’Eliza dont elle apprécie les visites.

Honoré, qui porte le nom de son grand-père, va donc se rendre à Montbrison chez son arrière-grand-tante pour lui présenter sa jeune épouse. Jeanne et Honoré se sont mariés six semaines auparavant, le 24 septembre 1863 à Lyon.  

La vieille dame est âgée de 73 ans, elle compte sur l’indulgence de Jeanne lui demandant de ne pas s’effrayer de ses infirmités. Son écriture tremble parce qu’elle a mal aux doigts.

Elle s’inquiète et donne des conseils avisés pour le voyage.

 

Montbrison, 3 9bre 1863.

Ma chère nièce

Si vos jeunes gens conserve le projet de venir bientôt en Forets* je les prix instament de ne pas voyager de nuit sur le chemin de fer

vous savez combien il y a eut d’accidents funeste il y a environ deux mois sur cette fattale voie

qu’il parte donc au grand jour et recommendé leur de ce bien vétir à cause des fièvres et de l’humidité

Si leur projet de me faire une visite d’une heure a changé à cause des jours si cour

Honnoré connait le gite il sait que j’aurais des lits à leur offrir

et quand ils seront ici si je n’ai rien à leur offrir on ira trouvé Chanu qui comme traiteur est toujours fourni

Je vous embrasse tous affectueusement

 

*Montbrison se situe dans le Forez.

   

2022-11-25

V_ Vœux et Visites

 

V

 oici venue l’époque où l’on s’échange des Vœux et des Visites à l’occasion du Nouvel An.

 

Suzanne ne peut échapper à cette obligation. Elle écrit une lettre affectueuse à ses nièces pour leur souhaiter mille choses.




Lundi 31 décembre 1900,

« Ma lettre d’aujourd’hui vous porte spécialement mes vœux à toutes deux mes chères amies. Je vous souhaite le bonheur de cette vie comme l’entendent les chrétiens, je vous souhaite après avoir cherché votre voie de la trouver »

Elle ajoute non sans humour : « je vous souhaite un oncle et une tante vous donnant tout le bonheur que vous en attendez, hélas s’ils n’en font pas plus c’est qu’ils en sont incapables, seulement ils ne pourront jamais vous aimer davantage c’est certain. » 

Suzanne et Pacôme n’ont pas d’enfant et reportent toute leur affection sur leurs nièces et neveux.

La tante dit qu’ils passeront chez elles, le soir du 1er janvier.

« Nous trinquerons avec vous […] nous boirons donc à toutes les santés possibles »

 

Voilà pour le côté plaisant des fêtes de fin d’année. Mais, il y a aussi des obligations. 

 


Le savoir-vivre * exige que l’on se plie à la tradition des visites pour porter les vœux.

 

Pour répondre à une invitation à dîner, on écrit, mais on n’envoie pas de carte.

Dans les visites du jour de l’an, on laisse autant de cartes qu’il y a de personnes dans la famille à qui on veut donner une marque d’estime.

 

Si l’on porte soi-même ses cartes, on les corne à l’un des angles supérieurs, ou on les plie dans le sens de la largeur. La carte portée sans intention de faire visite se dépose sans corne ni pli.



Il semble que Suzanne trouve cette obligation assommante.



« Hier nous avons fait une première fournée de visites. Que vous avez de la chance d’en être affranchies ! »

 

Quelques années plus tard, Marie et Angèle vont tenir deux listes précises : Liste des visites par carte  et Visites en personnes qu’elles conservent pour ne pas manquer à leurs devoirs de sociabilité. Lorsque la visite est effectuée, le nom est barré. Il importe de n’oublier personne. 

Liste des visites par carte : la carte de visite, comme son nom l’indique, est déposée chez les amis et relations de la famille.

-  Visites en personnes : réservées pour les intimes, cousins ou les alliés de la parenté.

 

Elles gardent les cartons de visites qu’elles ont reçues et qui nous sont parvenues.

 

 

Chez vous, si vous en recevez, conservez-vous les cartes de vœux ?

 


 Bibliographie

*Le savoir-faire et dans les diverses circonstances de la vie : guide pratique de la vie usuelle à l’usage des jeunes filles/par Mlle Clarisse Juranville,...

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6149610s/f221.item

 

2022-11-24

U_ Un télégramme redouté



AI DOULOUREUX DEVOIR VOUS ANNONCER MORT LIEUTENANT LAPLACE

TUÉ GLORIEUSEMENT HIER SOIR OBSEQUES AURONT LIEU MERCREDI

MATIN SOUILLY PREVENEZ MOI SI VOULEZ VENIR HEURE ARRIVEE GARE

BAR-LE-DUC RESPECTUEUSES CONDOLEANCES : CAPITAINE DE LANGLE 

Envoyé le 17 juin 1917 à la mairie de Chambéry.

Le maire certifie que les porteurs du présent télégramme sont les père, mère et belle-sœur du Lieutenant aviateur Laplace tué au champ d’honneur. 

Reçu le 18 juin 1917.

💥 


C’est la pire nouvelle qui pouvait arriver, mais elle est tellement prévisible. Depuis presque trois ans, la guerre a détruit tant d’hommes. Cette famille a vu partir ses trois fils : Antoine, Amand et Marius.



Paul et Claudine sont inquiets, ils connaissent le chagrin éprouvé avec le deuil d’un enfant. Ils ont enterré dix ans auparavant au cimetière de Chambéry leur fille Louise, elle n’avait que 16 ans. Depuis le début de la guerre, ils ne sont rassurés que lorsque le facteur apporte de bonnes lettres de chacun de leurs garçons.

 

Marius, le plus jeune est né en 1896. Incorporé en avril 1915, il est parti en décembre avec le régiment d’infanterie. Il fait ce qu’il peut, mais, malade il est évacué à plusieurs reprises; il sera donc proposé pour la réforme. En 1917, il est en campagne à l’intérieur, c’est-à-dire hors de la zone des armées, Marius apparait alors un peu plus protégé.

 

 

Amand François, l’aîné se trouve au régiment d’infanterie. Il s’occupe de l’entretien et de la réparation des lignes téléphoniques lors de combat sous de violents tirs d’artillerie et de mitrailleuse. Toujours volontaire au moment le plus dangereux. Il a reçu une citation en octobre 1915 : « soldat courageux au combat, dévoué, s’est multiplié pour ramener les blessés dans nos lignes ».

Il obtient la  croix de guerre avec deux étoiles de bronze.

 

Même si les parents peuvent se sentir fiers de leur fils, connaître les risques auxquels ils font face ajoute à leur inquiétude.

 

En juin 1917, tous se rendaient compte du désespoir d’Antoine qui voulait rejoindre Marie, sa jeune épouse morte quelques semaines auparavant. Ils pensaient que la présence du petit Paul rendrait son père plus prudent. L’enfant était confié à Fanny, la sœur de Marie dont la famille est voisine. Fanny leur communiquait-elle les lettres découragées dans lesquelles Antoine lui recommandait de prendre soin de Paul, déjà orphelin à trois ans ? 

Antoine se porte volontaire pour des missions difficiles, il pleure la mort de ses camarades, en disant qu’il devrait être à leur place.

Ecoutez-le :


Lettre d'Antoine à Fanny, mai 1917


"Dimanche, au cours d’une mission, je suis rentré avec mon avion criblé d’éclats d’obus, mais sans la moindre égratignure. La mort ne voudrait-elle point de moi ? mon temps n’est sans doute pas encore venu."

 

 

 Lettre du 12 juin 1917


"Un nouveau deuil vient de frapper encore notre pauvre escadrille. J’arrivais sur le terrain pour voir un de mes camarades se tuer. C’est un lieutenant marié. Si je pouvais être à sa place, moi qui n’es [sic] plus rien." 

 💥 

Paul et Claudine, les parents d’Antoine se sont-ils rendus dans la Meuse, à Souilly, pour la messe de funérailles ?

C’est possible, car Paul savait voyager, il a été employé au PLM, la ligne de chemin de fer Paris Lyon Marseille. 

Dans quel état de tristesse puis-je les imaginer...

 Dans cette série :

Antoine, un As de l’aviation

Marie, jeune épouse dans son nouveau foyer

S’envoler (Au revoir là-haut)

Détruire les lettres 

Un  télégramme redouté 

De l'autre côté des combats

La mort ou la vie