Lorsque je passe dans la rue Grenette, je m’arrête devant son magasin, et je prends le temps de réveiller Pierre Chartron, (sosa 88), négociant en toiles à Lyon.
Sur cette StoryMap, j'ai retracé les lieux où il a habité (1795-1874).
Pierre Chartron est le petit-fils d'un maître fabriquant en étoffes de soye, son père était apprêteur de gazes à Lyon, avant d’aller s’installer à Villemoirieu où Pierre est né en 1795. Je m’interroge sur ce lieu inattendu où il a vécu durant quelques années. Il se pourrait qu’il ait souhaité s’éloigner de Lyon, préférant se retirer comme agriculteur en Isère, plutôt que de rester pris dans la tourmente révolutionnaire. Sa belle-famille a souffert de la Terreur. Son beau-père Gaspard Margaron a été guillotiné, ses beaux-frères ont émigré en Suisse. François Lupin, celui qui est resté à Lyon a été fusillé.
Pierre est l’aîné; lorsque son père déclare la naissance de sa petite sœur Marguerite Élisabeth en 1792, il est connu comme agent municipal à Villemoirieu. Il était agriculteur trois ans auparavant.
Pierre va étudier le droit à Grenoble. Il travaille ensuite à Lyon, il s’est rapproché de ses oncles et tantes : deux frères qui ont épousé deux sœurs. En se mariant avec sa cousine, il resserre encore le réseau familial rempli d'implexes et de mariages intrafamiliaux unissant les Margaron et les Chartron.
En 1819, Pierre a 24 ans, leurs noces qui viennent d’être célébrées le 8 mai le rendent heureux. Marie Jacques, il préfère l’appeler Jacqueline ou plus tendrement Zélie (source recensement 1838). Il va bien s’entendre avec cette cousine. À dix-huit ans, elle est devenue une belle jeune femme. C’est à elle qu’il pense, alors qu’il descend d’un pas allègre depuis les pentes de la Croix-Rousse vers la Presqu’île.
Actuellement rue René Leynaud _ Wikipédia |
Ils habitent dans l’immeuble de son beau-père et oncle, au numéro 33 rue de la Vieille-Monnaie dans le quartier de Croix-Pâquet. Il se rend au magasin de tissus du n°6 rue Basse-Grenette, celui qui porte l’enseigne de la maison Laporte, Falque et Chartron.
Il s’est associé avec ces négociants qui font fabriquer leurs commandes par les ouvriers que l’on n’appelle pas encore les canuts.
Spécialisés dans la rouennerie, en gros et demi gros, ils vendent des toiles de laine ou de coton imprimées. Leur magasin regorge de couleurs : rose, violet, rouge dont les dessins ou les reliefs résultent de la disposition des fils teints avant le tissage; ces tons chaleureux dominent sur les étoffes rayées ou à carreaux selon la mode de Rouen. Ils proposent aussi un joli choix d’indiennes qui plaisent à la clientèle…
Mouchoirs de Rouen |
Ils vendent des mouchoirs. Mais Pierre n’a pas encore de raison de pleurer, les affaires sont prospères et Jacqueline va lui donner sept enfants. L’aînée Marie Anne Pierrette pointe son petit nez l’année qui suit leur mariage, puis voilà André en 1822.
En 1824, avec un petit Jacques de quelques semaines, ils vont habiter au 3e étage au-dessus du magasin.
La famille s’agrandit en accueillant un nouveau-né chaque année : Casimir en 1828, Marie Célestine Pétronille en 1829, Marguerite Clotilde en 1830. Les filles meurent en bas âge, les garçons sont plus solides. L’année 1838 est douloureuse, Marie Élisabeth Philomène nait le 16 janvier, hélas sa mère décède le 10 mars. La nouvelle-née ne survivra pas à ce drame, elle est mise en nourrice à Villeurbanne et s’éteint le dernier jour du mois. Pierre achète pour sa femme une concession dans le nouveau cimetière de Loyasse. Je connais bien cette tombe où repose la famille.
Pierre va poursuivre de longues années de veuvage, Jacqueline n’a vécu que 37 ans, Pierre a 79 ans lorsqu’il la rejoint.
Il ne s’est pas remarié, il a élevé ses garçons qui sont allés en pension, il leur a conseillé d’étudier le droit comme lui. André et Jacques sont avoués. Casimir, son préféré, travaille avec lui. En 1854, ils s’associent : Laporte et Chartron père et fils.
Son associé, Claude Laporte a sept ans de plus que lui, c’est appréciable de l’avoir comme voisin ; la famille Laporte habite au 2e étage avec deux employées qui sont «demoiselles de magasin». Il est ami avec le curé d’Ars que Pierre doit avoir l’occasion de rencontrer chez lui. N’a-t-il pas donné à sa dernière fille le prénom de Philomène, mis à la mode par celui-ci.
En bon bourgeois lyonnais, Pierre assume diverses responsabilités : trésorier de la fabrique de la paroisse de Saint-Nizier, administrateur de l’hospice de Saint-Alban, de 1842 à 1847 et de 1849 à 1867; il est le président du conseil d’administration du dispensaire général.
Le 29 novembre 1874, Pierre va rejoindre les siens qu’il avait accompagnés au cimetière de Loyasse.
Une cousine prénommée Jacqueline dont Jacqueline est la trisaïeule vient de décéder l’an dernier. Je viens juste de relire une phrase qu’elle m’avait confiée « Qui s’occupera de cette tombe ? »