Une petite fille et une petite chaussure.
Lorsque
j’étais une petite fille, cette petite chaussure m’intriguait. Je la retrouvais
en ouvrant un tiroir de la coiffeuse chez Mamie Rose. Je pouvais jouer avec cet
objet, mais cela n’allait pas à mes poupées, je ne comprenais pas pourquoi elle
restait l’unique exemplaire d’une paire mystérieuse.
Pourquoi
n’ai-je jamais demandé à ma grand-mère de m’expliquer
comment elle se trouvait dans
sa maison ? Et pourquoi mon père, qui attachait tant d'importance aux objets, ne
m’a-t-il raconté le parcours de celui-ci ; l'ignorait-il ?
C’est
une toute petite chaussure, longue de 9 cm et large de 4 cm. Légère
comme une plume, elle pourrait chausser un ange, une créature ailée. Un pied
d’enfant ? Le cuir paraît un peu usé, mais comment imaginer qu’elle ait
réellement été portée…
D’ailleurs,
on voit bien que ce n’est pas à la mode de Provence.
Ce petit
chausson, on le considère suffisamment pour le conserver pendant un siècle dans
un tiroir, mais pas assez pour en avoir gardé le souvenir. À moins qu’on
préfère le laisser dormir, tellement profondément que même une petite fille ne
puisse le réveiller.
Ne pas blesser la terre.
Je
me doutais que cette miniature fragile était très ancienne, le cuir aurait
besoin d’être nourri. Les couleurs ont perduré, le bleu indigo sur la première
lanière avec les deux rivets ainsi que
la languette découpée apportent une touche de sophistication. L’ouvrage paraît
de belle qualité, trois lanières sont glissées dans des passants.
Son
nez relève, j’ai appris des Mongols qu’ils portent des souliers qui pointent
vers le ciel pour ne pas blesser la terre en marchant. J’ai voyagé en Europe
Centrale, et au hasard des bazars, j’ai retrouvé des sandales dont la facture m’a
rappelé celle-ci.
J'ai
compris, lorsqu’une amie invitée s'est arrêtée devant ce chausson qui ravivait
ses souvenirs du folklore d’Europe Centrale. Cet objet vient des Balkans,
affirma-t-elle en connaisseuse.
Dans
les montagnes de Macédoine, ces sandales sont nommées opanki au pluriel et s’il
n’y en a qu’une seule : opanci ou opanak.
Sur le front d’Orient.
Mon grand-père et son père ont parcouru les mers, je repère quelques objets qu’ils
ont rapportés chez nous.
Mais
tout compte fait, cette petite chaussure dont je ne savais rien ne m’intéressait
pas particulièrement. Jusqu’en 2014, lorsque j’ai ouvert la valisette en carton
de mon grand-père Marius, découvrant alors le journal de sa guerre depuis les Dardanelles où il a débarqué en mai 1915. En septembre 1918, il se trouvait positionné,
depuis plusieurs semaines, près du fleuve Vardar. Son régiment a participé à la
bataille d’Uskub, actuellement Skopje en Macédoine du Nord.
Skopje, Macédoine, 20/11/1918 |
Marius a envoyé ces cartes à sa fiancée Rose, mais il ne donne guère de détails sur la réalité de la guerre.
Macédoine, 14 /08/1918 |
J’ouvre
cette correspondance et les carnets de Marius que je pourrais encore mieux
comprendre aujourd’hui, grâce à mes recherches sur la guerre de 1914-18.
Voilà
où me conduit cette petite chaussure !
Le
généathème proposé
par Sophie, « consacré aux objets de famille, à leur histoire et à
leur transmission dans l’histoire familiale », m’a donné l’occasion de me
pencher sur celui-ci.
Pour découvrir quelques objets qui dorment dans ma
maison,
voici d’autres billets :
quel beau voyage que celui auquel nous convie cette petite chaussure...
RépondreSupprimerC'est sympa de voyager avec moi !
SupprimerOn est intrigué par cette petite chaussure qui pointe vers le ciel et qui nous conduit vers une époque et un lieu qui nous deviennent si lointains de nos jours...
RépondreSupprimerBravo pour cette recherche. Avec peu d'éléments au départ (juste une petite chaussure) tu as réussi à retrouver tout un pan de ton histoire familiale et tu as fait revivre ton grand-père Marius. C'est émouvant.
RépondreSupprimerExtraordinaire réveil de cette petite chaussure,cascade de coïncidences, et réveil d'une valisette ! J'ai adoré.
RépondreSupprimerTrop mignonne cette petite chaussure et quelle chance d'avoir tous ces objets à sa portée. Peu de souvenirs pour moi, trop de déménagements successifs...
RépondreSupprimerEffectivement, une belle histoire très émouvante.
RépondreSupprimerSouvenirs de guerre, d'une triste époque.