2018-10-20

Dans l’arsenal des galères à Marseille

Émue par la condamnation aux galères proclamée dans l'avant-dernier article, j’ai décidé d’aller à Marseille à l'occasion de ce RDVAncestral
J'aimerais rencontrer ces misérables galériens condamnés à une peine terrible pour des actes bien pardonnables le plus souvent.

Arsenal des Galères JB de La Rose, 1666, Musée de la Marine Marseille 

Me voici à Marseille dans l’arsenal des galères. Le lieu est impressionnant, c’est ici que l’on construit les vaisseaux du roi, des centaines d’hommes s’affairent à leur tâche. J’entends que l’on parle de Louis XIV, alors je me renseigne sur la date du jour, nous sommes le 29 mai 1679.

Je me rends compte que je ne verrai pas le pauvre Pierre Taron, l’ami des contrebandiers du sel, qui a été condamné aux travaux forcés en 1711. Je suis remontée trop loin dans le temps (et d’ailleurs, ce n’est pas mon aïeul).
Je vais donc aller à la recherche de l’un de mes ancêtres susceptible de se trouver dans ce lieu. 

On me dit qu’il faut voir la plus belle des galères construites dans l’arsenal.  La Réale est un bâtiment magnifique qui doit témoigner de la puissance du Roi-Soleil.

La Réale 1679 construction (JB de La Rose)

Mais moi, je cherche la galère La Reyne où je pourrais rencontrer mon ancêtre André Coudonneau (sosa 582).

On m’indique le chef des maîtres canonniers. François Coudoneau est le frère de mon ancêtre. Il m’accueille en me disant qu’André serait heureux de me voir, il n’a pas encore d’enfant puisqu'il a épousé Françoise Boudier dans les derniers jours de l’année 1678.

Aujourd’hui le jeune marié règle quelques affaires avec le notaire, explique François :
« estant sur le point de son départ pour la présente campagne qu’il va faire avec les galères de sa Majesté sur celle appelée la Reyne commandée par le Sieur DeMontolieu » André est allé faire son testament.

Franchement je ne suis pas trop fière du métier de ces deux frères : une galère, des canons… ce n’est pas très sympathique. 
« Qu’allez-vous faire dans cette galère ? » demandé-je.

« Nous sommes une vingtaine de canonniers et notre rôle est essentiel pour gagner les combats » dit François. Je comprends alors depuis son poste de maître canonnier c’est lui qui dirige le service de l’artillerie.


François s’exclame « Voilà André qui arrive. »
« Eh André ! Sais-tu que tu as une descendante qui vient nous voir ! » Le regard d’André me traverse sans y croire. Il se tourne vers son frère. Celui-ci lui demande :
« Comment s’est passé ton rendez-vous avec le notaire ? » « As-tu pensé à laisser de l’argent à notre mère ? »
« Oui j’ai fait à Anne Marchande un legs de 50 livres payable incontinent après mon décès. »
« J’espère que je n’ai rien omis, écoute ce qu’a inscrit le notaire comme c’est bien dit :
Et en outre fait legat icelluy testateur à Françoize Boudière sa femme pour l’amitié qu’il luy porte des fruits et usufruits de ses biens et heretage pour en jouir pendant sa vie et tant qu’il vivra en ce monde et en fere à son plaisir et volonté sans qu’elle soit tenue de donner caution de beneustendo, à la charge et condition toutesfois quelle demeure vefve  soubs le nom vidual dud testateur. 
 Cela c’est pour mon épouse Françoise et mes enfants à naître. » Il ajoute :
« Et je n’ai pas oublié mon neveu Lazare pour en faire à son plaisir volonté le tout après toutefois le décès de [m]a femme. »
« Je te remercie d’avoir pensé à mon fils. Mais vois-tu puisque ta descendante est là, c’est certain que ta femme te donnera des enfants. » affirme François.
« Ah ! tant mieux, j’ai même prévu de que l’on prenne la précaution de calculer que j’en sois le père. » André continue « J’ai aussi donné 100 livres à notre sœur Catherine. Et 50 livres à Venture Coudounelle la fille de feu François. »
Je n’ose interrompre les confidences des deux frères. Je ne comprends pas qu’il y ait un François vivant et un feu François dans la même fratrie Coudouneau. D’ailleurs je me perds dans les manières d’orthographier leur patronyme : Coudouneau, Coudoneau, Codoneau, et pour les filles : Coudonel ; Codonel(le) …
Mais ils ne me répondent pas, ils sont trop occupés à organiser leur départ.


André apparaît excité mais aussi angoissé à la perspective de ce voyage. Et s’il ne revenait pas ? Quelle tristesse de penser que sa jeune épouse soit veuve. Ce doit être la première longue séparation du couple. Il faudrait rechercher quelles batailles navales furent livrées en Méditerranée à cette époque.


Maintenant, je suis à mon tour extrêmement inquiète, car je n’ai pas trouvé de traces ultérieures d’André. Il était mort lorsque sa fille s’est mariée en 1704.
Peut-être n’a-t-il jamais connu cette enfant qui est notre ancêtre ?

2018-10-13

Les mulets du sel_6


Rencontrer l’auteur des « mulets du sel »


Quelle découverte que ce livre qui a inspiré la série de billets sur  « Les mulets du sel » !


En le lisant, ma première pensée fut pour l’auteur que j’ai eu envie de contacter. Joseph Piégay a 94 ans, il a vécu plusieurs années dans un village voisin du mien, fréquentant des connaissances communes que je regrette de n’avoir pas revues avant qu’elles ne disparaissent. L’employée de mairie m’a appris qu’il n’habitait plus ici depuis longtemps, me donnant, tout de même, le nom d’une personne qui aurait pu le connaître. Celle-ci m’a communiqué une adresse près de Nice, le téléphone ne répondait pas et j’ai craint que ma recherche soit vaine.

Ce fut une très bonne surprise de recevoir un message sur mon portable disant qu’il avait reçu ma lettre. Je lui avais écrit pour lui dire ma gratitude d’avoir publié ce livre.
Je lui ai promis d’aller le voir, dès que je pourrais. Au mois d’août, nous avons pu lui rendre visite dans l’établissement où il réside avec son épouse Henriette.
Jo est un homme charmant qui a du plaisir à partager le travail qu’il a réalisé. Il m’a donné son manuscrit des « Mulets du sel » que j’ai accepté avec émotion.
Voyez ci-dessous la liste des livres qu’il a écrits.
Il y a vingt ans, lorsqu’il est allé mener l’enquête sur l’auberge de notre village, les habitants l’ont dirigé vers l’auberge actuelle où il a cru bien faire en situant son roman. Bien évidemment, tout le monde, même ma famille à cette époque, ignorait que c’était notre maison. Mon père n’aurait pas su l’accueillir chez nous avec des renseignements historiques.
J’ai vraiment voulu le remercier pour la qualité de ses recherches. Il explique l’origine de son enquête à la lecture d’un ouvrage de René Pillorget : « Les mouvements insurrectionnels en Provence entre 1596 et 1715 ».

Il cite minutieusement ses sources, il mentionne la cote des documents aux Archives Nationales. Je n’ai pas encore eu l’occasion de consulter ce dossier (AN_G/7/476), je suis sûre que je pourrais avoir des détails supplémentaires concernant mon Joseph Audibert et son auberge. Je vais essayer de commander une reproduction des pages qui nous intéressent.

Les ouvrages de Joseph Piégay :

La remontée d’Elzéard, Presses du Midi, 2008
Au Moyen âge entre Durance et Verdon, Résonnances, 2004
Les terroirs de Vinon, Association d’histoire et d’archéologie de Vinon, 1996
La traversée du Verdon, Association d’histoire et d’archéologie de Vinon, 1993
1591, Vinon, la victoire oubliée,
Révolution et vie à Vinon de 1789 à 1800, Résonnances 2004
Éloge de l’incertitude, Presses du Midi, 2013

Pour lire les épisodes de cette série des mulets du sel : 

2018-10-05

Les mulets du sel_5


Épilogue.

Immédiatement après le procès, je suis retournée dans la maison de Joseph Audibert.

Vite vérifier qu’il est mort chez lui, le 15 juillet 1741 
à l’âge respectable de 83 ans.

Revenir aux sources des actes BMS de Saint-Julien, relire attentivement l’état civil et mieux comprendre les liens entre les habitants du bourg.

Revoir l’arbre des familles Audibert, Gaillardon, Guis et Guis pour essayer de deviner lesquels parmi les beaux-frères, les cousins, les amis ont pu les aider à traverser ces événements terribles.

L’acte de naissance de Françoise Gaillardon est très pâle, j’étais passée sur la page de novembre 1673 sans le voir. Son acte de décès lui donnait quatre-vingts ans et là j’ai pu rectifier l’erreur. Il est temps de mettre l’épouse de Joseph à la place d’honneur.

Donc en 1710, notre hôtesse avait 37 ans, entourée de leurs six enfants âgés de vingt mois à treize ans, elle a assistée impuissante à l’arrestation de son mari. Joseph a été soupçonné de complicité avec les muletiers pris comme contrebandiers du sel. Françoise avait accepté la bourse de l’un d’eux, lors de leur passage à l’auberge.

Comment a-t-elle vécu pendant les six mois où son époux était emprisonné à Aix ?  

Pour que l’auberge reste ouverte, elle veilla à ce que, de la salle à manger jusqu’aux chambres, tout soit en ordre, que la cuisine soit approvisionnée et la cave remplie.

On sait bien qu’il est faux l’alibi de Joseph qui prétendait être allé acheter du vin.
Mais si les tonneaux sont vides, que servir aux voyageurs ?


Joseph le fils aîné pouvait s’occuper de l’écurie pour qu’elle soit en état d’accueillir les mulets et se charger de leur nourriture. Cette responsabilité devait lui plaire, un jour il deviendra muletier.


Sans doute, leurs familles se sont réunies pour mandater un avocat compétent qu’on a bien rétribué. Peut-être, ils ont dû cacher les meubles et les biens que le couple possédait pour éviter qu’ils soient saisis. 
Quelle inquiétude pour payer l’amende de 300 livres, une somme importante !
La dot de Françoise était de 400 livres, 200 livres données le jour du mariage (le 7 février 1696) ; le reste étant payable par annuité, il a fallu plus de quarante-quatre ans pour que le compte soit soldé en 1740.


Après le 24 avril 1711 lorsque le jugement fut rendu, Joseph Audibert et André Gos sont sortis des prisons d’Aix. Ces deux hommes, Masseau et Le Sauteur, ont-ils reçu le fouet sur la place publique, comme on le craignait ?

Ce qui est certain, c’est qu’étant bannis de cette ville, ils sont rentrés rapidement chez eux à Saint-Julien. Ils furent bien accueillis par le village solidaire de leur rébellion contre la gabelle.
Jean Audibert, mon ancêtre (sosa 172), fut conçu dès la mise en liberté de son père puisqu’il naquit le 29 janvier 1712. C’est lui qui sera aubergiste.
André Gos a inscrit un enfant sur la même page du registre en février 1712. Je n’ai toujours pas réussi à relier ce « beau-frère » ou plutôt sa femme, Thérèse Gaillardon, avec la famille de Françoise.
Hespérite Audibert, huitième enfant des aubergistes, est née en mars 1715. Elle va épouser Joseph Pellas, un muletier devenu marchand. Une vérification dans mon arbre m’apprend que son époux est le bébé que Thérèse Vassal (sosa 703) portait dans ses bras en regardant la farandole en 1710.

Nous avons retrouvé Joseph Audibert, l’aubergiste, entre 1698 et 1736, comme protagoniste de la mystérieuse affaire relatée dans la série :
« Une feuille cachée sous une poutre brûlée. »  


Dans le prochain billet, j'espère rencontrer l’auteur des Mulets du sel.

 Voilà tous les épisodes depuis le début :