2025-11-15

N_Nos amis

 

- Bienvenue chez nous, chère cousine, laissez-moi vous présenter quelques-uns de nos amis. 

L'accueil chaleureux  de Pierre Antoine dissipe le vertige d'avoir traversé des siècles obscurs, pour me retrouver dans la lumière d'un salon, à la fin du 18e siècle. 


Il y a quelques jours, je vous avais confié mon rêve de rencontrer les cousins Barou du Soleil. Ce rendez-vous ancestral arrive à point pour honorer l’invitation du samedi chez eux.

Je suis allée tirer la sonnette au n° 4 de la rue Saint-Joseph, le gardien nous a ouvert, tout semblait parfait, leur hôtel n’avait pas été démoli, ni perquisitionné par le Comité de Salut Public… Nous avons pu remonter le temps sans encombre, l’époque éclairée par les Lumières demeurait encore paisible, même si de grands changements s’annonçaient. On discutait déjà avec passion des idées révolutionnaires.

Nous entrons dans le salon où sont disposés quelques tables et une vingtaine de sièges, des fauteuils couverts de bourre de soie chinée, d’autres garnis en bazanne rouge et des chaises en paille. Les conversations mondaines et polies, ou déjà enflammées, se frottaient d’une personne à l’autre, comme l'aurait fait un chat sauvage que l’on essaye de caresser avant qu’il s’enfuie.

 

- Je vais chercher mon épouse qui sera ravie de vous connaître, elle est l’âme de cette maison, c’est elle qui organise nos soirées avec nos amis.

Jeanne Marie nous accueille avec beaucoup de gentillesse, les bras chargés de bouquets odorants qu’elle allait disposer dans de grands vases sur le buffet. Le soleil s'était couché dans un ciel rose et cotonneux derrière la colline de Fourvière.

Elle s’avance vers Joseph Vasselier, en s’exclamant « Voilà, notre poète arrive ! »

Jean Baptiste Vulpian, mon voisin m’explique à voix basse que ses collègues de l’Académie le considèrent comme « l’un des plus charmants conteurs français et poète érotique. » Vasselier, ami de Voltaire, est passé maître en matière de bons mots, tel celui-ci : « Le monde fait l’amour et l’amour fait le monde ». Peu préoccupé de succès, il vient cependant de publier un Almanach nouveau de l’an passé 1785 & 1786, où l'on annonce les choses arrivées et qui arriveront encore. 

Il ajoute : On me dit, Madame, que votre époux est un cousin d’Annonay de la famille Barou. Je rectifie en précisant que si nous avons des ancêtres communs avec Barou, mon mari est tout à fait lyonnais. Par contre, je mentionne qu'Annonay est ma ville natale.

Monsieur Vulpian me répond qu’il est lui-même né à Annonay, ce qui ajoute à la qualité de l’amitié qui le lie à Pierre Antoine.

Décidément bavard, il me demande si, dans notre ville, je connais la famille Monneron.

Je sais, dis-je, que notre hôte écrivait l’an dernier, le 10 juin 1785 « J’ay diné hier chez les Monneron avec M. de la Peyrouse qui va faire le tour du monde, voyage que le Roy, lui-même a tracé ». En effet, ajoute-t-il, son frère Paul Monneron fait partie de l’expédition de La Pérouse, ils naviguent dans les mers australes.

Je capte des bribes de conversation des personnes à côté de nous ; on parle des absents.

« La mort de Peyron… effacé de notre liste des samedis » depuis le 8 avril 1785.

- Avez-vous des nouvelles de Charles de Pougens ?

- Il est à Londres en mission diplomatique, il met à profit ce séjour pour continuer ses recherches linguistiques. Il écrit que lui manquent « Les charmants soupers que nous donnait, tous les samedis, mon honorable ami M. Barou du Soleil. »



Pierre Antoine propose de remplir mon verre de vin de Beaujolais. Il me dit que quelques amis parisiens séjournent à Lyon, et qu’il les a conviés chez lui ce soir. Il pense que je serais intéressée de les rencontrer. 

Il chuchote en aparté :

A propos de Monsieur Campan : je ne peux pas compter sur lui, je disais à Jeanne Marie « au surplus c’est pour lui même que je le cultive, il a de l’esprit, du gout et de l’amabilité ; et je suis bien aise que tu le voies souvent ; mais une jolie femme et le magnétisme sur quoi puis-je compter ? »

Henriette Campan

Surpris par l’arrivée de madame Campan, il essaye de retomber sur une conversation plus badine. 

- En parlant de jolie femme, chère Henriette vous rayonnez. J’étais justement en train d’expliquer le magnétisme à ma cousine en disant que vous êtes fort versée dans cette nouveauté qui attire les jolies femmes comme un aimant.

Henriette nous revient de Paris, elle est première femme de chambre de la reine.

- Marie-Antoinette m’exclamé-je, vous la côtoyez ?

- Elle avait quatorze ans, lorsqu’elle est arrivée d’Autriche, en 1770 pour ses noces avec le dauphin, elle était tellement perdue dans l’immensité de Versailles qu’elle s’est accrochée à mon amitié. J’étais lectrice des filles de Louis XV et je me suis attachée à elle.

Suivez-moi, nous allons rejoindre monsieur Campan dans la bibliothèque, il examine les nouveautés qui viennent d’arriver chez notre hôte. Son père est bibliothécaire de la reine, mon mari est attiré par les livres, il sait que Barou a un goût très sûr.

Dans le corridor, Henriette croise deux académiciens qui discutent.


Jean Jacques Millanois, avocat et membre de l’Académie. Comme Campan, il s’intéresse au magnétisme et aux expériences de Mesmer qui font l’attraction et suscitent des doutes.

Pierre Suzanne Deschamps, avocat et membre de l’Académie, il a dressé l’inventaire des médailles de la ville. Barou le consulte pour sa collection.

Tous les deux seront députés aux États-Généraux. Mais ce n’est pas le moment de parler politique, car je connais l’avenir de ces gens qui vont traverser les affres de la Révolution. Il est bien préférable de les laisser tranquillement profiter de cette belle soirée sans les inquiéter. 

Je me demande d’ailleurs si Monsieur et Madame Roland font partie des invités ce samedi. Il est évident qu’ils fréquentent nos hôtes, puisqu'ils partagent leur intérêt pour l’herborisation

Manon Roland dans son salon

J’ai écrit ce billet en écoutant « The Guests » de Léonard Cohen.

 Ce rendez-vous ancestral est le fruit de mon imagination étayé par des documents d’archives, inventaire, correspondances, témoignages d’amis. Voici quelques sources :

Dictionnaire historique des Académiciens de Lyon, 2017.

Dictionnaire Historique de Lyon, 2009.

Vasselier : https://www.fabula.org/actualites/16993/j-vasselier-almanach-nouveau-de-l-an-passe-1785-1786.html

Vulpian: https://www.retronews.fr/journal/la-gazette-d-annonay/26-mars-1892/3/8c724f64-a1f0-4cdc-9629-5fd8a4a72d65

Campan : https://books.google.fr/books?id=Tp4PAAAAQAAJ&pg=PA301&dq= # v=onepage & q & f=false

Et les fiches des biographies sur Wikipédia que je crée ou complète lorsque j’ai des informations. 



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