2023-11-11

J_ Juste après l'inventaire

 

Trois jours après l’inventaire auquel nous avons assisté dans l’article précédent, Anne Fallot met en vente l’office de son mari. Cette transaction a lieu le 11 décembre 1691 à Paris.

Comme précédemment les six gendres d’Anne entourent leur belle-mère. Bien présentes, leurs épouses restent discrètes. Cette fois-ci, Siméon Guichon est le seul qui pose sa signature.  

Une lecture plus attentive des dernières lignes de l’inventaire après décès d’Edme Mauprivé révèle que sa veuve devait 500 livres à son gendre Siméon. Le temps est venu de régler l’affaire.

La charge est vendue pour 5000 livres, à Jean Delatour, cocher du roy servant aux ambassadeurs, il demeurait à Versailles.

Edme Mauprivé (sosa 3278 à la génération XII) avait acquis, le 18 mars 1666, la charge de :

Courtier, tireur, chargeur et débardeur de la marchandise de foin en la ville et fauxbourg de Paris


Anne Fallot se souvient.

C’était il y a 25 ans, mon mari se sentait tellement fier d’avoir signé le contrat qui lui octroyait cet office. Il en avait assez de s’user les doigts dans le cuir comme maître bourrelier.

Nous avons ce jour-là débouché une bonne bouteille de notre vin de Fontenay que nous gardons à la cave pour de belles réjouissances.

Edme avait déboursé une somme importante. Puisque le roi avait besoin d’argent pour ses dépenses et pour ses guerres, il prélevait un quart du prix, il créait toutes sortes de charges plus originales les unes que les autres. Les Mauprivé ont vu une opportunité pour s’élever dans la société. En accédant à la fonction d’officier, le bourgeois acquérait du prestige et il pouvait s’enrichir.


Nous habitons tout près de la place de Grève, raconte Anne, c’est avec un peu d’appréhension que je l’accompagnais le long de la Seine. 

Les bateaux amènent tout ce qui peut se vendre pour la nourriture des hommes et des animaux. D’un port à l’autre, différentes odeurs nous sautent aux narines, celle du bois qui sèche pour le chauffage, pour la construction, l’effluve fumée du charbon de bois, celle plus corsée du vin qui imprègne les tonneaux, le parfum des épices et des produits exotiques arrivant de Rouen, la puanteur marine et salée des poissons conservés dans des bassines humides.

Quelle agitation ! Beaucoup de personnes s’activent pour transporter les céréales. Les portefaix se pressent avec leur ballot sur le dos en vous bousculant au passage. Les travailleurs se hèlent, ils annoncent leur passage en vous prévenant qu’ils ne ralentiront pas. Les roues des voitures à bras vous frôlent, vous éclaboussent

 

L’ambiance générale porte tout le monde à l’action et mon mari s’est mis à participer à cette animation grâce à son nouveau métier de courtier de foin.

Il se fait un fort grand commerce de cette marchandise de foin pour les provisions de la ville de Paris ; l’on a compté qu’il s’en consumoit chaque année, sous le règne du feu roy louis XIV, quatre millions cinq cent milliers de bottes.

On tire [les provisions] de foin des grandes et belles prairies qui font l’ornement des bords de la Seine, de la Marne, de l’Oise, de l’Yonne et des autres rivières moins considérables qui affluent dans celles-là. Toutes ces provisions de foin, qui sont chargées sur ces rivières, arrivent à Paris par la Seine. Le foin qui nous vient en defcendant, […] les foins de ces pays d’amont doivent aborder à Paris aux Portes de la Grève….

Les jurés contrôleurs confirment la qualité, s’ils ne découvrent pas de mélange, pas de foin pourri ni mouillé. Le marchand a ensuite recours aux Courtiers Débardeurs pour tirer le foin de son bateau, le livrer à terre aux acheteurs. […]

C’est alors qu’interviennent les officiers, tel Edme Mauprivé, ils ne travaillent qu’après en avoir reçu l’ordre des jurez, & en leur présence, aux heures portées par les réglements.

Certaines denrées se négocient sur le marché place de Grève. D’autres, chargées sur des charrettes, traversent le quartier pour être revendues aux marchands des faubourgs. Les courtiers et les porteurs parcourent la ville avec une botte de foin pour crier le prix et l’adresse des vendeurs.


Mon homme a beaucoup marché dans les rues de Paris, il n’a pas pris de poids, il a gardé les jambes lestes et l’esprit vif pour gérer ses affaires. Nous avons vécu ensemble pendant les 42 années de notre couple.

Au fil des années, nous avons réussi à payer la somme que coûtait cette charge. Nous ne nous sommes guère enrichis, mais nous avons fort bien marié chacune de nos six filles, nous pouvons les aider lorsque le veuvage les frappe. C’est ma grande crainte pour elles à présent. Pour moi, je ne compte que sur mes gendres pour subsister encore quelque temps.


Ne t’inquiète pas Anne, regarde, ils sont présents là, auprès de toi !


3 commentaires:

  1. Les bruits, les odeurs, l'effervescence, on a l'impression là encore d'être présent, en lien concret avec l'histoire et l'épineuse question des offices royaux

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  2. On s y croirait très beau recit

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  3. bravo, c'est super d'avoir ces documents

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