2025-12-19

Pilâtre de Rozier

 

Jean François Pilâtre était venu à Lyon en décembre 1783. Il voulait voir comment se préparait la construction de la montgolfière.

Ce projet avait été initié par l’Académie de Lyon. Pierre Antoine Barou du Soleil, ami de la famille Montgolfier, était l’un des membres actifs chargé de l’organisation de l’évènement. Il s’occupa de gérer la souscription lancée par Jacques de Flesselles, l’intendant de Lyon. En son honneur, le ballon porta son nom haut dans le ciel.

Le FlessellesPublic domain, via Wikimedia Commons


Laurencin, le principal mécène, fit le récit dans sa lettre à M. de Montgolfier.

https://books.google.fr/books?id=U2antq2DA6sC&pg=RA1-PA3#v=onepage & q & f=false

Lorsque M. Pilâtre de Rozier, le premier des voyageurs aériens, se rendit à Lyon, sur le bruit de cette grande expérience, n’ayant d’autre dessein que d’en être simple spectateur.

L’on s’empressa autour de lui, M. de Montgolfier l’aîné fit le plus grand accueil à ce coopérateur zélé des expériences faites dans la capitale par M. son frère ; et l’on doit croire que l’intrépide M. Pilâtre ayant été consulté sur le projet d’un nouveau voyage dans les airs, ne le combattit point, mais il proposa quelques réparations accessoires pour en diminuer le danger.

 

Joseph Montgolfier avait conçu un ballon grandiose, le plus grand que l’homme ait jamais construit : 126 pieds de haut, 102 pieds de diamètre.

Il n’était pas prévu pour transporter des passagers. Cependant, Pilâtre estima que c’était possible. Montgolfier accepta sa proposition de piloter, puisqu’il avait l’expérience d’un premier vol libre.



La souscription avait été accueillie avec empressement par les notables de la ville, et l’on vit des étrangers du plus haut rang se faire gloire d’y contribuer en y prenant des actions.

Quel succès ! Les candidats pour l’ascension s’enthousiasmaient. Il y eut tant de demandes que l’on sélectionna les plus honorables, ceux qui avaient payé fort cher.

On peut imaginer que les samedis, dans le salon des Barou, beaucoup de leurs amis avaient participé à financer cet évènement extraordinaire. Il est fort possible que Jean François Pilâtre fasse partie des invités. Tous commentaient abondamment le premier vol de montgolfière à Lyon. Le poète, Joseph Vasselier composa ces vers, à déclamer lors du grand jour.  


Le 21 janvier 1783

Le récit de l’envol de la montgolfière sous les yeux de la foule des Lyonnais rassemblés aux Brotteaux, des incidents imprévus au décollage, de l'ascension spectaculaire, puis de l’atterrissage brutal sont à lire dans un précédent billet : 

Dans le ciel de Lyon.


21 janvier 1783, à Lyon


Le 15 juin 1785, chute fatale.

Rozier fut le premier aéronaute, mais aussi la première victime de catastrophe aérienne.

On comprend l’émotion ressentie par Pierre Antoine Barou en apprenant l’accident. Il en fait le récit à son épouse.



Paris, ce 17 juin 1785

Tout Paris est affligé de la mort de ce pauvre Pilâtre du Rozier. Tu sais qu'il étoit à Boulogne depuis décembre à attendre le vent, pour passer en Angleterre;

Il avait cru que Blanchard ayant fait le trajet, il devoir y renoncer, mais revenu à Paris, et s'étant monté à l'audience de M. le Contrôleur général, le ministre parût fort étonné de le voir, et lui dit très haut, comment n'êtes vous pas en Angleterre? Pilâtre entendit les reproches, et repartit le lendemain. Le vent du nord qui a régné si longtemps, a toujours empêché ce malheureux de s'enlever, enfin mercredi dernier, le vent lui ayant paru favorable, Pilâtre et un sieur Romain, mechnicien, sont partis à 7 heures du matin. Ils ont parcouru pendant une demi heure environ, compris le tems de l'ascension qui a été superbe, cinq quarts de lieue le long de la côte, à la vue de vingt mille spectateurs. On a eu la douleur de voir l'explosion du Ballon par le haut, étant élevé prodigieusement. On attribue ce malheur au nouveau moyen qu'avait imaginé ou adopté Pilâtre; La réunion de l'air inflammable et du feu. Enfin la chute rapide du Ballon et de la montgolfière entrainés par la galerie et le poids des deux aéronautes, n'a pas permis d'arriver à temps pour les secourir, La chute n'ayant duré que quelques secondes; Le malheureux Pilâtre a été trouvé mort et en pièces; M. Romain, dit-on, a survécu dix minutes. Ce malheureux événement excite d'autant plus de regrets que le Pauvre Pilâtre semblait le pressentir; Le marquis de la maison forte, jeune homme de vingt un à 22 ans, qui l'avait suivi à Boulogne dans l'intention de monter avec lui dans le Ballon, au moment se d'y placer, en avait été empêché par Pilâtre. Le jeune homme croyant que c'était pour éviter le poids d'un troisième voyageur, avait fait consentir M. Romain à lui céder sa place pour 200 louis, mais Pilâtre s'y était opposé avec tant de fermeté, que le jeune homme avait cédé, et Pilâtre montant dans le Ballon l'avait embrasé en le priant de lui pardonner s'il refusoit de l'emmener, mais qu'il n'avait aucune confiance dans son Ballon, que le vent n'était pas sûr, et qu'il seroit bien heureux s'il en revenoit. C'est le jeune homme lui même qui est venu apporter la nouvelle, qui le premier fut au lieu de la chute, et qui ce matin en a conté tous les détails à M. de Flesselles de qui je les tiens. On a obtenu pour la mère et la sœur du malheureux Pilâtre la réversibilité de la pension que le Roy lui avait faite; J'imagine que les Ballons resteront longtems sous la remise, cela dégoute des voyages, et si Pilâtre fut le premier à y monter, sa déplorable fin fera sans doute qu'il sera le dernier.




On se rend compte que toutes les précautions de prudence n’ont pas été prises pour assurer ce vol. Pressé par Charles Alexandre de Calonne, le contrôleur général des finances qui avait donné de l’argent pour ce projet, Pilâtre est touché par le ton de ses reproches. D’autant plus que son concurrent, Jean Pierre Blanchard a réussi l’exploit de traverser la Manche, dans des conditions difficiles, quelques mois plus tôt.

Pilâtre aime les défis, mais nous l’avons vu à Lyon comme un aéronaute prudent qui estime les dangers et prend des décisions réfléchies. Pendant plusieurs jours, le vent du nord n’était pas propice et dès qu’il s’est apaisé, il a décidé de s’envoler. Son compagnon Pierre Ange Romain avait conçu avec lui une étonnante aéro-montgolfière combinant gaz et foyer de combustible. La réunion de l’air inflammable et du feu a provoqué l’explosion. 

Comment Jean François Pilâtre a-t-il pu monter dans ce ballon dans lequel il n’avait pas toute confiance ? Il savait que le vent pouvait tourner. Il dit lui-même qu’il n’est pas sûr de revenir. 
Elles sont prises sur le vif, ces confidences que Pierre Antoine Barou a entendues de Jacques de Flesselles qui les tenait du premier témoin direct. Je n’ai pas pu lire d’autre récit écrit en 1785 de cet accident. Avec toute la subjectivité et l’émotion contenue dans cette lettre, ce document mérite d’être publié. La plume de Barou du Soleil fait partager sa tristesse à son épouse, et à nous aussi.
 

Voir aussi :





2025-11-30

Z_Un gentilhomme qui reste mystérieux

       

Je n'ai pu vous montrer aucun portrait de Pierre Antoine et de Jeanne Marie.  Pourtant, je ne doute pas qu'il en existe encore dans leur famille. Il est fort possible que des tableaux de belle qualité continuent leur vie chez des particuliers, ceux-ci ignorant l'identité du personnage qui les regarde depuis son XVIIIe siècle. Auraient-ils eu le temps de poser pour leur amie Sophie de Tott, ou pour d'autres peintres qui auraient fixé leur image au delà de leur vie ?  Je ne désespère pas d’en rencontrer un jour !


Pierre Antoine Barou du Soleil garde son mystère.

Bien sûr, pas d’acte de décès, puisqu’il est guillotiné, victime de la Révolution le 13 décembre 1793.

Ni d’acte de baptême. Il a longtemps été difficile de le situer à Paris, d'ailleurs les archives ont brûlé.

Pierre Antoine et Jeanne Marie n’ont pas de descendance.


Leur hôtel, au n° 4 rue Saint-Joseph, à Lyon, a été démoli.

Leur domaine du Soleil a été éparpillé, puis vendu à des promoteurs.

Ses herbiers et ses collections ont été saisis. Où ont-ils pu être conservés ?

Sa signature est rare dans les archives. La voici en 1767 lors du mariage de sa sœur, Jeanne Marie Lavaud avec Pierre François Boscary.


Politesse au bas d’une lettre écrite en 1781.


Il n’éprouve pas le besoin de mettre son paraphe après les douceurs et les  Kisses, au bas des tendres lettres qu’il envoie à son épouse.

Celui de ses initiales, en 1789, est l’unique que je connaisse dans ses documents manuscrits.

Jeanne Marie ne montre pas davantage sa signature, sauf le jour de son mariage.


et en 1793, veuve Barou 


A l'Académie de Lyon, ses collègues l'appréciaient. Réputé brillant orateur, il prononce des discours, des éloges, il donne quelques traductions, mais il n’a guère laissé de publications.

Que disait-on de lui ? 

Ses amis le regrettaient en évoquant ses qualités. Relisez les témoignages des naturalistes, compagnons des sorties où ils herborisaient.

Le Chevalier Charles de Pougens, qui a reçu l’hospitalité dans la maison des Barou, lors d’une convalescence difficile au moment où il perdait la vue, en a conservé une indéfectible amitié, et aussi une petite canne :

Ch de Pougens, lettres philosophiques ...
dans lesquelles on trouve des anecdotes inédites sur JJ Rousseau...
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9603587v/f223.image.r=Barou


 Ses biographes

Dans son Histoire monumentale de la ville de Lyon, Monfalcon écrit un article sur certains académiciens, notamment Barou. Il retrace sa carrière et donne quelques détails :

https://play.google.com/books/reader?id=WuNT-urt_ysC&pg=GBS.PA41&hl=en_US


Sa fortune importante a certes suscité des jalousies. Il occupait les fonctions de Procureur du roi en la sénéchaussée et présidial de Lyon. Procureur général honoraire de la cour des monnaies. Puis en 1787, il est nommé Procureur général, Syndic à l'Assemblée provinciale de la généralité de Lyon.

Sa femme est déçue qu’il n’ait pas été élu député du Tiers-État pour la convocation des États-généraux. Il ne s’est pas mis en avant et il sait rester humble et absent de cet événement où siègent ses collègues, en cheveux,  assis au premier plan de ce tableau. 

5 mai 1789, Etats-Généraux _ https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Couder_Stati_generali.jpg


Menant le train de vie d’un gentilhomme, il avait le titre d’écuyer et vivait noblement, en jouissant d’une grande richesse, acquise par ses différentes charges.

Pierre Antoine n’était cependant qu’un bourgeois, il faisait partie du tiers-état. Sa femme aurait bien aimé qu’il accède à la noblesse, mais puisqu’il n’a pas rempli les vingt années de fonctions dans son office de procureur du roi, il n’était pas en droit de demander ce titre. 


En continuant d'explorer les archives conservées aux AD 69, je pourrais affiner la connaissance de cet homme séduisant qui reste encore méconnu. Il y aurait encore tant à raconter.

J'espère avoir contribué à lui donner vie dans ces billets du ChallengeAZ.


26 billets de ce ChallengeAZ 

consacrés aux Barou du Soleil 

l'index se trouve ici :

https://www.briqueloup.fr/p/blog-challenge.html 

2025-11-28

Y_S’y trouver, s’y rencontrer


Lorsque Joseph Pérouse s’est installé à Lyon, les traces de la Révolution apparaissent bien fraîches. Lyon se relève à peine des destructions. Les beaux immeubles de la place Bellecour ne sont pas alors tous reconstruits.


Rue St-Joseph = Rue Auguste Comte

En 1815, Joseph a acheté une maison au numéro 7 de la rue Saint-Joseph, il est devenu le voisin de madame Barou du Soleil qui vivait au numéro 4. Ce n’est pas tout à fait sa grand-tante, mais plus exactement de la femme du cousin de sa mère, Marguerite Barou.


C'était un vieille dame très digne, avec beaucoup de classe. Discrète, comme savent l’être les bourgeoises lyonnaises, Jeanne Marie Durand porte le deuil de son mari depuis la terrible journée du 13 décembre 1793 où Pierre Antoine Barou avait été guillotiné. 

Après les évènements de la Terreur, elle aurait souhaité ne plus revenir dans « cette horrible ville ». Il a bien fallu qu'elle s’habitue à son quotidien de veuve, dans une société nouvelle, bouleversée par les changements politiques. Beaucoup de leurs relations avaient souffert ou étaient mortes. Certaines amitiés se sont consolidées, d'autres se sont distendues. 

 

Joseph Pérouse, lui-même, avait émigré à Trieste pour sauver sa vie. Il était alors « marchand fabriquant de chapeaux de paille d’Italie». En 1798, il avait épousé Catherine Fanny Duboys. Ensuite, leurs trois enfants sont nés à Lyon où Joseph tenait une boutique de chapelier. (Ils sont nos sosas 186 et 187)

 

En 1815,

Jeanne Marie vivait avec son frère Simon Antoine Durand de la Flachère. Elle n’avait pas eu d’enfant. Mais sa nièce, épouse de M. de Chaponay et leurs trois enfants habitaient au 2e étage de leur hôtel particulier.


Rue Saint-Joseph

Joseph est au balcon de sa maison, il fait un signe de la main pour saluer sa cousine qui marche dans la rue.

— Ma femme vous attend !

Jeanne Marie pousse la lourde porte en bois.


Elle monte les marches de l’escalier. Ses talons claquent sur les carreaux de terre rouge. Elle ralentit au fur et à mesure qu’elle grimpe au deuxième étage.


Elle reprend son souffle, en lisant le nom Pérouse sur la porte sur le palier du deuxième, elle entend une cavalcade et des rires joyeux.


Trois enfants courent dans le couloir. Leur père vient de les prévenir que la dame arrivait. Le tintement de la sonnette les arrête.

Joséphine, l’aînée va ouvrir la porte à la visiteuse, elle devance sa mère qui s’approche.

Catherine accueille une petite dame brune, qui porte avec soin ses 65 ans, élégamment vêtue d’une veste courte en velours vert sombre, sur une robe de soie gris perle. Elle est coiffée d’une cornette en dentelle sous un chapeau de paille acheté chez notre chapelier,

Jeanne Marie lui sourit, en tendant une main gantée pour la saluer. Elle fait glisser son châle en cachemire sur ses épaules, ce qui découvre le classique collier de perles.

 

— Alors, nous sommes voisines maintenant. La proximité avec la jeune famille de mon cher Pierre Antoine me réjouit. Vos enfants sont pleins de vie, ils ont bien grandi depuis que je les ais vus.

Joséphine (sosa 93) est une jeune fille de quinze ans, Joseph a eu neuf ans et Augustin va sur ses sept ans.

— Ils ont besoin de se dépenser; en fin d’après-midi, je devrais les amener prendre l’air et jouer place Bellecour.

— Ils pourraient faire connaissance avec ma nièce Marie de Chaponay, ses enfants ont le même âge que les vôtres. 

Joseph P. salue sa cousine, sans avoir le temps de s’attarder.

— Je vous invite à passer me voir dans la boutique, chère cousine, j’ai créé de nouveaux modèles de chapeaux qui pourraient vous plaire. Maintenant, c'est tout près de chez nous !

Il enfile sa veste, il se rend dans sa fabrique, au n° 1 rue de la Sphère, (rue François Dauphin).

Catherine fait les honneurs de la maison, elle montre les différentes pièces. où ils viennent juste de s’installer. 

— C’est plus vaste que l’appartement du quai des Augustins, et puis nous sommes chez nous.

— Vous verrez la rue est agréable. Nous allons nous rencontrer souvent.


2025-11-27

X_ Cheveux

 

Le 4 avril 1785, Pierre Antoine Barou du Soleil arrive à Paris pour ses affaires. Il écrit à sa femme :

« J’ay bien emporté ma robe, mais j’ai laissé mes cheveux longs. Et comme ils vont ensemble, tu me feras plaisir de chercher avec Vasselier, quelque moyen de me les faire parvenir. »


Il a bien préparé ses bagages, mais il se rend compte qu’il a oublié un accessoire important pour sa tenue : sa perruque poudrée. Il aimerait que son ami, le poète, Joseph Vasselier trouve une solution pour réparer l’erreur. Éventuellement, il pourrait contacter un Lyonnais de confiance sur le point de monter dans une diligence en partance pour Paris qui se chargerait de la commission.

Portrait d'un avocat au 18e siècle

Homme de robe

Pierre Antoine porte la robe d’avocat, lorsqu’il rencontre les ministres à Versailles, il veut ainsi s’affirmer dans sa fonction de magistrat. Il possède deux robes de justice.

Observons ce portrait peint au 18e siècle, qui permet d'imaginer le costume de P.A.

La perruque blanche en cheveux bouclés montre le statut social.

Les poignets de la chemise, en dentelle soigneusement repassés dépassent des manches amples et longues, cette touche d'élégance  égaye la robe noire. Une épitoge bordée de fourrure d’hermine s'attache sur l'épaule gauche.

Un gentilhomme élégant

Chez lui, la garde-robe est remplie de vêtements d’homme soucieux de sa mise.

inventaire 3 frimaire an2

un habit veste en velours cizelé noir à bordure

un habit noir veste et deux culottes médiocres

huit gilets noirs et deux culottes noires

dix gilets satin, à bazin, de différentes couleurs

une veste culotte tricot de soye

cinq chemisettes toile coton

dix culottes de différentes couleurs dont une en peau

trois habits de différentes couleurs

cinq gilets de différentes couleurs dont un est glacé


L’habit masculin se compose d’une veste, d’une culotte et de bas.

Dans son armoire, il y avait encore :

12 bas de soie blanc, 6 bas de soie noir 3 bas de soie gris, 12 bas de fil et 10 bas de coton.

30 mars 1789

Tu me feras le plaisir de m'apporter mes habits de printemps ou plutôt d'été qui consistent en un habit rayé jaspe que j'apportais de Paris au printemps dernier, un petit habit de soie gris avec des boutons en diamant, et un habit de drap de soie noir, dont j'ay la veste, mais l'habit et la culotte doivent être dans mon armoire. 

A propos de noir, n'oublie pas pour ton compte d'en apporter, car il se pourrait qu'il y eut un grand deuil, du moins, on craint pour M. le Dauphin.


Vous savez ce qui manque : des portraits de Pierre Antoine Barou du Soleil vêtu des ses beaux habits. 



2025-11-26

W_ VeuVe

 

Tout était en désordre dans sa maison, dévasté, brisé. Comme elle-même, depuis la mort de son mari.

gravure salon de Mme de Necker
Jeanne Marie vêtue d’une robe de soie noire, un châle de dentelle sur les épaules s’assit dans un fauteuil couvert de bourre de soie chinée, les larmes lui brouillaient la vue. Elle eut de la peine à se reconnaître dans le grand miroir poussiéreux au-dessus de la cheminée; pâle, les traits tirés, abattue par le chagrin, elle avait perdu sa splendeur passée.


Mon mari a été la victime de la fureur des satellites de l’infame Robespierre. 

Ces hommes violents, armés comme des révolutionnaires, sont entrés dans leur maison, portés par leur colère. Il aurait fallu leur expliquer que nous n’étions pas si différents d’eux, pensa-t-elle. Pierre Antoine était épris de justice, et même s’il défendait ses privilèges il faisait partie du tiers-état. Certes privilégié, mais prêt à demander plus d'égalité.

Qu’allait-elle devenir maintenant que son mari était mort ? Guillotiné injustement, avec tant d’autres citoyens innocents.

Elle ouvrit un tiroir de sa commode et prit un des mouchoirs de batiste pour s’essuyer les yeux.


Parmi les papiers épars qui jonchaient le salon, elle ramassa des lettres que lui avait envoyées Pierre Antoine.  

Quelques mois auparavant, il l'incitait à quitter Lyon. Elle hésita.

J'espère que la réflexion calmera un peu tes premières inquiétudes.
Au surplus Si tu répugnes à venir icy, et que tu redoutes les embarras d'un nouvel établissement, tu attendras qu'il soit formé et je te laisse la maitresse de rester à Lyon, puisque tu crois qu'on ne peut pas être heureux ailleurs. 
 

Elle regrettera toute sa vie cette fatale erreur de n’avoir pas accepté de s’installer dans la maison qu’il avait achetée à Annonay, l’année dernière en mars 1793. Il pressentait le danger, ils auraient dû fuir Lyon.

Annonay, rue de Charmenton _ Wikipédia

Que faire à présent ?

Pierre Antoine lui aurait dit : Va voir nos amis. Demande-leur de t’aider. Je sais que tu peux compter sur eux.

Jeanne Marie avait fait une liste de ceux qu’elle appréciait. Elle fit appel aux magistrats compétents pour récupérer ses biens. Il fallait produire des documents, des certificats, des témoignages, faire des réclamations pour les meubles et objets saisis.


Son contrat de mariage la protégeait, sa dot était importante. Son époux avait prévu de lui donner une rente pour assurer des revenus en cas de veuvage. Elle va devoir rassembler ses forces et sa détermination pour continuer à vivre seule.

Réparations

Sa maison a été occupée par des gens de guerre, elle a besoin de réparations. Beaucoup de choses ont été cassées, les portes ne ferment plus, il faut changer les clés, réparer les vitres.



 Lorsqu’elle aura récupéré de l’argent, elle pourra organiser sa vie et essayer de continuer. 
Voir aussi:





2025-11-24

V_ Violons


Les Barou possédaient cinq violons et une harpe, et des liasses de papier musique, selon l’inventaire fait en leur maison à Lyon. Ils gardaient sans doute d’autres instruments de musique dans leur château du Soleil.


Pierre Antoine jouait du violon. Qui touchait la harpe, est-ce lui ou peut-être Jeanne Marie ?

Il savait reconnaître les bons interprètes. Invité chez les Tott à Paris, il apprécie d’écouter Sophie qui joue fort bien de la harpe (source)

Sophie, dans une lettre à Jeanne Marie, laisse entendre que P.A.B. tiendrait parfaitement sa place dans un orchestre, ce qui témoigne de son excellent niveau de violoniste.

 Je fais beaucoup de musique; elle n'est que vocale pour moi, mais y a un fort bon orchestre, et je pense souvent que votre cher époux auroit du plaisir et en procureroit aux autres s'il était de la partie. Rappellez moi  je vous prie à son souvenir, en lui disant mille amitiés pour moi. Adieu ma très aimable amie, je vous embrasse et je vous aime de toute mon ame.                                                  Sophie de Tott


 Un Stainer 

Le 2 avril 1784, il achète un violon qu’il paye 600 livres. Le vendeur lyonnais lui garantit que l’instrument est un original de Stainer et certainement pas une copie.

Les violons de ce luthier autrichien passaient pour les plus réputés de cette époque. Les meilleurs solistes possédaient un Stainer.

Facture du Stainer 2 avril 1784

Monsieur Barou prend soin de ses violons. Alors qu’il est en déplacement à Paris, il repère un artisan qui pourrait confectionner un étui pour l’un des siens. Il demande à sa femme de le lui apporter pour qu’il aille parfaitement à la mesure de son alto.

Mars 1789

Une autre commission plus délicate, est celle de m'apporter si tu le peux, mon alto viola, [...] Ce n'est sûrement pas pour en jouer, mais comme je voudrais faire faire un étui pour mes violons, je le ferais faire de manière que l'alto y entrerait également, et je ne le puis pas sans l'avoir, parce qu'il faut avoir la mesure bien juste. L'objet n'est pas important, mais il serait agréable. 


Au concert

Sortie de l'Opéra

Lorsqu’il se trouve à Paris, il va au concert le soir. Très souvent. Il en donne ensuite le compte-rendu à sa femme, dans les lettres qu’il lui adresse trois ou quatre fois par semaine. 

Lettre écrite un dimanche soir, en août 1782

« Je reviens du Français [..] on nous a donné Pygmalion. Monsieur le premier violon de l’orchestre s’est avisé de changer la musique de Cognet [sic = Horace Coignet] pour la sienne aurait aussi bien fait de la respecter et Cognet triompherait à l’entendre. »…

 

Cette œuvre dont il déplore l’interprétation par le premier violon, il l'a entendue à une représentation à la Comédie-Française à laquelle il a assisté en compagnie de sa sœur et son beau-frère. Il la connait bien, car son histoire lui parle. Horace Coignet a composé la partition de Pygmalion, une pièce lyrique de Jean Jacques Rousseau. Coignet a rencontré Rousseau le 13 avril 1770, il a ensuite été reçu chez les Claret de la Tourrette. Pierre Antoine, en tant qu’ami de ceux-ci, avait entendu le récit de cette rencontre, à moins qu’il n’y ait assisté. Il a évidemment entendu Coignet l’interpréter au violon.

18 juin 1783

« Quant à la scène de Pirame et Thisbé […] c’est une froide et fade imitation du Pigmalion de Jean Jacques. » 

En toute familiarité dans cette lettre à sa femme, il appelle J.J.Rousseau par son prénom.

 

Chanter au coin du feu

A propos d’un chanteur Italien nommé Stella:

12 avril 1785

Récit d’« une expérience singulière […] la seule chose un peu gaie dans tous ses tours de force, c’est le ridicule de son chant quand il a voulu improviser en musique ; je croirais un peu m’entendre, quand j’improvise au coin du feu » 


Regardons cette scène : Pierre Antoine Barou du Soleil reçoit dans sa maison, la fraîcheur de la soirée est réchauffée par la chaleur de l'amitié, ses amis l'entourent rassemblés autour de la cheminée. On parle, on philosophe, on refait le monde, on chante, P.A. improvise.  Jeanne Marie sourit. Ils sont heureux.

Voir aussi :

Nos amis

En son Hôtel

Au Soleil

2025-11-23

U_Une amie originale


 « J’ai rencontré Melle de Tott elle est plus belle qu'elle n'a jamais été. »

Sophie de Tott 1785 par Vigée Le Brun, via Wikimedia Commons

Ce portrait, par son amie Elisabeth Vigée Le Brun, a été peint cette année-là. 

Il semble pourtant qu’ils étaient en froid, puisqu’il précise : « Elle dit qu’elle est toujours notre amie ».

Voila la brouille apparait terminée !  

Ils parlent du mariage de la sœur de Sophie. Justement, l’avant-veille, Marie Françoise a épousé René de Kermanguy, le 10 mai 1785.

Voici ce qu’en disait P.A dans une précédente lettre, le 2 mai 1785.

« Mimica de Tott épouse la semaine prochaine le comte de Kermingui noble breton, à qui elle apporte en dot 80000 livres »…

Je peux déjà vous dire que Marie Françoise se trouvera veuve l’année suivante et se mariera plus tard avec François duc de la Rochefoucault. 

Quant à une plus jeune sœur : « Kléraki n’a pas voulu épouser un vieux major de place et la voilà dit-on confinée au couvent ». 

Revenons à Sophie qui est soulagée d’avoir raccommodé leur amitié avec les Barou.


« Elle me dit qu’elle craignait bien d’avoir perdu notre amitié ; qu’elle avait bien des torts avec nous ; qu’elle en était si honteuse qu’elle n’avait jamais osé cherché à les réparer, en t’écrivant, mais que ses regrets devaient lui faire trouver grace. Je t’avoue qu’elle s’accusait de si bonne foi que je lui aurais pardonné pour mon compte à moins de frais » …

« Et si ce que l’on dit est vrai, elle s’est immolée pour donner une existence à ses sœurs, et soutenir celle de son père. Au surplus, elle ne prend plus au Chevalier qu’un intérêt de pitié »…

Charles Pougens by Wikipédia

Sophie a connu le Chevalier Charles de Pougens à Lyon. Il était reçu chez les Barou, c’était une période particulièrement difficile pour lui, car il perdait la vue à la suite d'une épidémie de petite vérole.

Dans ses mémoires, il confie la qualité de l’accueil de Barou du Soleil dans son hôtel.

Une autre personne qu'il rencontra pour la première fois, ce fut M. Barou du Soleil, avocat du roi à la sénéchaussée de Lyon et membre de l'Académie royale de cette ville, homme d'un mérite éminent et qui sut bientôt apprécier celui du jeune chevalier. Il conçut pour lui un tel intérêt, un attachement si tendre, qu'il l'engagea à venir occuper un appartement dans son hôtel, situé place de Bellecour. Là il lui prodigua, ainsi que sa vertueuse compagnie, les soins les plus touchans. Hélas ! cet homme de bien, ce véritable philanthrope, tomba victime de la révolution sous le règne de terreur, et ce fut un des chagrins les plus vifs qu'éprouva le cœur sensible de M. de Pougens.

source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9603587v/f223.item.r=%22Barou%20du%20soleil%22.zoom

Pougens homme de lettres, cultivé a étudié, la musique, les langues, la peinture. Sophie et Charles ont été passionnément amoureux, mais le père de Tott n’a pas permis le mariage.

Barou est resté ami avec le Chevalier dont il parle fréquemment.

Lorsqu’il séjourne à Paris, il se rend très souvent chez les Tott qui ont cinq filles, remarquables par leur charme et leur beauté.

L'aînée, Sophie « che hanno rifiusato molte propozioni » est une artiste. « Elle joue fort bien de la harpe ». Elle peint avec talent des portraits de personnages célèbres. Elle fréquente la cour à Versailles. Elle émigre en Angleterre, elle voyage.   

Selon Férenc Toth (https://doi.org/10.3917/dhs.055.0670:

Elle appartenait à la catégorie des « femmes exceptionnelles » qui dès la fin de l’Ancien Régime commencèrent à sortir du cadre de la société traditionnelle. 

Sophie de Tott en bacchanale, par Vigée le Brun 1785