2022-11-19

Q_ Quotidien

 

Écrire des lettres passait pour une activité féminine quotidienne. La femme, assumant son rôle de gardienne du bon ordre de la maison, s’occupait de maintenir les liens entre les membres de la famille, en particulier avec ceux qui vivent au loin.


V.Hammershoi, Intérieur avec une femme lisant une lettre, 1891.

Les différents corpus que j’ai pu lire et numériser montrent des lettres qui ont été jugées dignes d’être conservées. La plupart sont composées par des femmes. Les hommes écrivaient eux aussi, toutefois leur style et les thèmes ne présentent pas la même tonalité.


Une écriture féminine

Comme des petites chansons légères et douces, tristes à cause de l’éloignement du destinataire, les refrains reviennent de lettre en lettre.

Les correspondances parlent de tout et de rien. Souvent, l’expéditrice écrit qu’elle n’a rien à dire…

On voit ici ce qui remplit ces correspondances :



La météo demeure le sujet incontournable dans la plupart des lettres.

Marie a tenu un journal météorologique inutile, mais touchant, ce cahier est conservé dans les archives familiales.

Un dimanche d’août 1865, Angèle restée à Lyon, raconte à sa sœur Marie :

« Il pleut à grande verse. Tiens ! voilà le tonnerre, décidément c’est un orage. Pourvu que vous n’ayez pas ce temps-là »




Elle décrit ses activités :

 « Aujourd’hui, j’ai fait une lessive considérable, et demain, je passerai ma matinée à repasser. »

« J’ai été aux Vêpres, nous sommes restées au chapelet. […] alors je suis rentrée, j’ai préparé le dessert. »




Les confitures

Le 1er juillet 1893, Zélia confie à ses nièces :

« Je suis bien occupée dans ma maison ces jours-ci ; je renouvelle toutes mes provisions de confiture, je fais réparer toutes les petites choses détraquées dans l’appartement, je veux encore faire ramoner mes cheminées, et faire mettre le gaz à ma salle à manger et il me faut compter sur Gabriel pour rien. »

Et la semaine suivante,

« J’ai sur le feu des confitures d’abricot que je veux un peu surveiller »



 

Au XIXe siècle, des femmes épistolières.

Il est intéressant de lire C Dauphin qui a étudié un sujet proche du mien dans Une correspondance familiale au XIXe siècle[1].

« L’écriture prend place dans le temps plein des femmes, parmi les autres occupations reconnues. » (p.178).

On disait à cette époque : « Les femmes sont naturellement douées pour écrire des lettres… »

C. Dauphin (p.116) dénonce le stéréotype de la femme épistolière.

« À quelques nuances près, l’écriture de lettres devient un devoir prescrit à toutes. Puisque les femmes, par incapacité naturelle et par respect pour les mœurs ne peuvent avoir accès à la littérature et à la science, ou sinon à titre exceptionnel, puisqu’elles doivent éviter de briller dans ces domaines, il ne leur reste que la correspondance pour exercer leurs talents. 

Comme elles sont par ailleurs “attachées presque exclusivement pendant le cours de la vie aux devoirs modestes et sacrés de la famille”, la correspondance devient une tâche obligatoire de la maîtresse de maison au même titre que l’éducation des enfants, la direction des domestiques ou la visite aux pauvres. Il s’agit moins d’ailleurs d’exercer des talents littéraires que d’entretenir les relations de parenté et de cultiver les conduites de civilité. »

Dans les familles bourgeoises, les femmes sont éduquées pour écrire, mais ce rôle se retrouve aussi dès que la maîtresse de maison est capable de s’exprimer par écrit.

Une étude de Valérie Feschet [2] met en évidence le rôle des lettres dans la cohésion du groupe familial lorsque les frères et sœurs émigrent de la campagne vers la ville.

Ces ouvrages m’ont aidée à comprendre les correspondances qui font l’objet de ce challenge.

 


[i] Cécile Dauphin, Pierrette Lebrun-Pezerat, Danièle Poublan, Ces bonnes lettres. Une correspondance familiale au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1995.

[ii] Valérie Feschet, S’écrire en famille, des sentiments déclinés : la correspondance rurale en Provence alpine au XIXe siècle in La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, sous la direction de Roger Chartier, Fayard, 1991.

 

3 commentaires:

  1. Ne sont ce pas encore et toujours les femmes qui maintiennent les liens, qui par un coup de fil, qui par un texto ?

    RépondreSupprimer
  2. Maintenir les liens effectivement avec ces correspondances, en leur absence désormais ils se délitent ... restent les textos avec photos de confitures ou autres douceurs, ou un instantané d'un coucher de soleil

    RépondreSupprimer

Merci pour le commentaire que vous laisserez !