2021-11-05

E_ Écoutons-les

 

Les expressions du Velay me sont familières. Depuis que je vis à Lyon, je me suis efforcée de les effacer pour ne pas détonner dans la ville.

Pour préparer ce challenge, j’ai acquis un petit livre* qui m’a transportée au pays de mon enfance, et beaucoup plus loin dans la langue de mes ancêtres. Ils parlaient ce qu'ils appellent, en le dévalorisant, le patois. Mes amis restés en Ardèche emploient une version de ces expressions encore en usage. Aujourd'hui, je tiens à transmettre ces richesses de notre langue afin que nos enfants ne les oublient pas.

M'inspirant du témoignage de la fille de Louise (disparue aujourd'hui), j’ai imaginé une journée dans la famille de ma grand-mère au siècle dernier.



La mère appelle ses enfants : « Le dîner[1] est prêt, j’ai préparé des matefaims[2], on a aussi du jambon. On mange vite, et après on va voir Louise. »

Sur le chemin bordé de pins et de mélèzes, la petite donne la patoune[3], puis lâche la main de sa mère pour ramasser les babets[4], la résine pégole[5]. Elle admire ses deux frères qui se cachent et grimpent dans les fayards[6] comme des écureuils.


Les voici arrivés dans la maison de famille à Gambonnet. Louise se tient sur le seuil. 

«Ah, c’est Constance ! tu es venue me voir. Et tu as mené les enfants ! C’est une bonne promenade pour eux. » Alors que les garçons s’empressent de retrouver leurs cousins, les deux femmes sont contentes de pouvoir bavarder; leurs maris sont cousins germains et toutes deux sont nées à Rochepaule. 


Elles s’approchent du bachas[7] pour laver les mains de Marie, « Maria[8] a ramassé des babets, elle est toute pégoleuse[9]. » 

La cousine s'active pour les accueillir.

« J’avais pensé de monter au bourg de Saint-Bonnet, cette semaine. Alors, tu vas m'éviter cette sortie. Merci ! Tu m’as apporté le fil de coton et des aiguilles neuves pour faire mon boutis. » Elle montre son ouvrage, confectionné avec de la laine entre deux pièces de  satin. 

« Allez, venez visiter le jardin ! L’orage a fait du mal aux fruitiers, la grêle a petafiné[10] les prunes. Elles ne seront bonnes que pour la confiture et encore…

Les pois dégrenés[11] sont bientôt mûrs, tu reviendras la semaine prochaine. Si tu as envie, je vais tirer les rates[12] pour t’en donner. »

« Je veux bien aussi de la doucette[13] »  ajoute Constance.

Les garçons se poursuivent en criant. Régis s’est tombé[14] en essayant de sauter le bia[15]. Il pleure un peu, heureusement il n’a pas trop de mal.

Louise annonce : « Nos petits doivent avoir grand-faim. Je vais vous offrir à chacun une portion[16] avec notre bon beurre et du sel. »

Elle pose devant eux de grands bols d'où s'échappe une merveilleuse odeur de lait frais. Les enfants se régalent. «Bargaillou[17], ton petit museau est tout machuré[18]. Viens que je te débarbouille. »


Le soleil décline, et la mère prend du souci[19] : « Il est temps de rentrer au village d'en-haut  pour le souper. Ce soir, nous allons manger des tommes douces[20] et des aigres[21] accompagnées des rates que m’a données Louise. »


Bibliographie

* Claudine Fréchet, Le parler du Velay, éditions Bonneton, 2015



[1] Le déjeuner= le petit-déjeuner, le dîner= le repas de midi, le souper= le repas du soir.

[2] Matefaim=crêpe épaisse

[3] Pattoune = main, langage enfantin

[4] Babet = pomme de pin

[5] Pégoler = poisser, coller

[6] Fayard = hêtres

[7] Bachas=abreuvoir pour les bêtes

[8] Maria = Marie que l’on prononce accentué sur le i, par conséquent le a final ne s’entend pas.

[9] Pégoleux = collant

[10] Petafiner= gâter, abîmer

[11] Pois dégrenés=petits pois

[12] Rate=petite pomme de terre allongée

[13] Doucette=mâche, sorte de salade.

[14] Se tomber= tomber

[15] Bia=Bief=canal d’irrigation

[16] Portion= tartine

[17] Bargaillou=barbouillé

[18] Machuré = qui a le visage sale, barbouillé.

[19] Prendre du souci=penser à s’en aller

[20] Tomme douce= fromage frais fait avec du lait non encore refroidi

[21] Tomme aigre= fromage frais fait avec du lait refroidi

4 commentaires:

  1. Je me retrouve aussi en enfance.... dégustant les rates du jardin au dîner !

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  2. Je ne connaissais que les mots "pattoune" (comme pattu donc), "rate" et "doucette" qui sont donc sans doute utilisés également ailleurs.
    C'est vrai qu'il est important de transmettre ces termes et expressions régionaux

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  3. Qui était la fille de Louise aujourd'hui disparue ?

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  4. C'est Odette Fauriat, fille de Louise Delorme et de Jean Baptiste Fauriat

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